Métrique en Ligne
DES_2/DES220
Marceline DESBORDES-VALMORE
LES PLEURS
1830
SERAIS-TU SEUL ?
Je veux revoir l’espace où plongea ta pensée,
Et les sentiers de fleurs que tes pieds ont touchés.
Charles Nodier.
Oh ! si j’avais de grandes ailes, 8
Que je traverserais de lieux ! 8
J’irais, sous mes plumes fidèles, 8
Dans leurs pleurs essuyer tes yeux ; 8
5 Je m’abattrais sur ta fenêtre, 8
Ou près de ton cœur endormi ; 8
Toi, quand tu me verrais paraître, 8
T’enfuirais-tu, mon seul ami ? 8
Non ! Tu subirais le prodige 8
10 Qui rouvrirait les cieux pour nous ; 8
Et, comme une fleur sur sa tige, 8
Je tremblerais sur tes genoux ; 8
Puis, craintive comme une femme, 8
Si je t’entraînais à demi, 8
15 Pour ne plus déchirer notre âme 8
Me suivrais-tu, mon seul ami ? 8
À minuit la lune rayonne, 8
Et ma trace aurait un flambeau ; 8
Vers tes pas, dont mon cœur frissonne, 8
20 Dieu ! que le chemin serait beau ! 8
Sous nos fleurs où, pleine de larmes, 8
Ta voix dans ma voix a gémi, 8
Gomme au temps dont j’ai fait les charmes, 8
Serais-tu seul, mon seul ami ? 8
25 Mais le jour luit, mon rêve tombe ; 8
Au soleil les rêves ont peur ; 8
Et les ailes de ma colombe 8
Vont seules te porter mon cœur. 8
Elle a respiré l’air où j’aime ; 8
30 Dans mes bras son vol a frémi. 8
Triste, comme un peu de moi-même, 8
Caresse-la, mon seul ami ! 8
logo du CRISCO logo de l'université