Métrique en Ligne
DES_2/DES211
Marceline DESBORDES-VALMORE
LES PLEURS
1830
LE JUMEAU PLEURÉ
À SA MÈRE,
MADAME HENRIETTE DUTHILLŒUL,
À DOUAI
Petit ange, dernier venu, 8
Dans ce triste monde inconnu, 8
Tu n’avais pas mué tes ailes ! 8
Semblable aux jeunes hirondelles 8
5 Qui disent ; « Ne nous touchez pas ! 8
Nos plumes grandiront là-bas. 8
Mal éclos sous vos toits d’argile, 8
Suspendus à des nids fragiles, 8
Au bruit de la terre endormis, 8
10 Nous couvons nos songes amis. 8
Gardez les songes, doux présages ! 8
Et nous, prophètes de passage, 8
Vers notre Dieu laissez-nous fuir. 8
Oh ! nous ne souffrons point de cages ; 8
15 Notre aile veut s’épanouir, 8
Pour nager au sein des nuages. 8
De notre fluide destin, 8
Flottant dans l’air pur du matin, 8
Vous aurez souvent des nouvelles ; 8
20 Toujours de jeunes hirondelles 8
Au printemps descendront des cieux, 8
Faisant passer devant vos yeux 8
Des souvenirs vivants, des charmes 8
Trempés d’espérance et de larmes, 8
25 Qui portent bonheur à l’exil. 8
Toujours quelque invisible fil 8
Nous ramènera l’un vers l’autre ; 8
Et quand vous n’aurez plus de pleurs 8
Pour nos nids cachés dans vos fleurs, 8
30 Notre monde sera le vôtre ! » 8
Et toi, dont le même rameau 8
Balança l’œuf frêle et jumeau, 8
Ange né d’un double mystère, 8
Sans poser tes pieds à la terre, 8
35 En effleurant d’un souffle pur 8
Le sein qui te servit de voile, 8
Tu t’en retournes dans l’azur 8
Te poser au front d’une étoile ; 8
Et puis, tu laisseras tomber 8
40 Des rayons, des mots, des sourires, 8
Des baisers, de chastes délires, 8
Au nid que ton poids fit courber, 8
Tiède de ta première aurore, 8
Et que ton appel trouble encore, 8
45 Petit ange, dernier venu 8
Dans ce triste monde inconnu ! 8
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