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Marceline DESBORDES-VALMORE
POÉSIES
1830
IDYLLES
LE RETOUR AUX CHAMPS
Que ce lieu me semble attristé ! 8
Tout a changé dans la nature ; 8
Le printemps n’a plus de verdure ; 8
Le bocage est désenchanté ! 8
5 Autrefois, l’onde fugitive 8
Arrosait, en courant, les cailloux et les fleurs : 12
Je ne vois qu’un roseau languissant sur la rive, 12
Et mes yeux se couvrent de pleurs ! 8
Hélas ! on a changé ta course, 8
10 Ruisseau, de l’inconstance on te fait une loi, 12
Et je n’espère plus retrouver à ta source 12
Les serments emportés par toi. 8
Ah ! si pour rafraîchir une âme désolée 12
Il suffit d’un doux souvenir, 8
15 Ruisseau, pour ranimer l’herbe de la vallée, 12
Parfois n’y peux-tu revenir ? 8
J’entends du vieux berger la plaintive musette ; 12
Mais qu’est devenu le troupeau ? 8
Sous l’empire de sa houlette, 8
20 Il n’a plus même un innocent agneau. 10
Tout en rêvant il gravit la montagne : 10
Il traîne avec effort son âge et son ennui ; 12
Les moutons ont quitté la stérile campagne ; 12
Le chien est resté près de lui. 8
25 Mais que sa peine est facile et légère ! 10
Du bonheur qui n’est plus il n’a point à rougir ; 12
Sans trouble, sur un lit de mousse ou de fougère, 12
Quand la nuit vient, il peut dormir. 8
Que de riches pasteurs lui porteraient envie ! 12
30 Combien voudraient donner les plus nombreux troupeaux, 12
La houlette, la bergerie, 8
Pour une nuit d’un doux repos ! 8
Et moi, d’amis aussi je fus environnée ; 12
Mon avenir alors était brillant et sûr. 12
35 Vieux berger, comme toi je suis abandonnée ; 12
Le songe est dissipé, mais le réveil est pur ! 12
Me voici devant la chapelle 8
Où mon cœur sans détour jura ses premiers vœux. 12
Déjà mon cœur n’est plus heureux, 8
40 Mais à ses vœux trahis il est encor fidèle. 12
J’y vins offrir, l’autre printemps, 8
Une fraîche couronne, aujourd’hui desséchée. 12
Cette chapelle, hélas ! dans les ronces cachée, 12
N’est-elle plus l’amour des simples habitants ? 12
45 Seule, j’y ferai ma prière : 8
Mon sort, je le sais trop, me défend d’espérer ; 12
Eh bien ! sans espérance, à genoux sur la pierre, 12
J’aurai du moins la douceur de pleurer. 10
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