ÉLÉGIES |
LA GUIRLANDE DE ROSE-MARIE |
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Te souvient-il, ma sœur, du rempart solitaire |
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Où nous cherchions, enfants, de l’ombrage et des fleurs ? |
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Et de cette autre enfant qui passait sur la terre, |
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Pour sourire à nos jeux, pour y charmer nos pleurs ? |
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Son dixième printemps la couronnait de roses : |
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Marie était son nom, Rose y fut ajouté. |
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Pourquoi ces tendres fleurs, dans leur avril écloses, |
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Tombent-elles souvent sans atteindre l’été ? |
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Tu sais, ma sœur, tu sais qu’elle était belle ! |
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Tous les enfants cherchaient à l’embrasser. |
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Quand son regard venait nous caresser, |
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Pour la voir plus longtemps nous courions après elle. |
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Avec des cris d’amour nous arrêtions ses pas ; |
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Sa fuite dans nos bras n’avait plus de passage ; |
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Elle disait : « Cessez ! J’aimerai la plus sage. » |
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Et nous rompions sa chaîne, et nous parlions plus bas. |
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Bientôt elle eut douze ans. J’étais plus jeune encore, |
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Quand le malheur entra dans notre humble maison. |
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J’allai lui dire adieu : sa voix, frêle et sonore, |
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Du haut du vieux rempart cria deux fois mon nom. |
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Elle avait dit : Déjà ! Sa surprise timide |
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À ce déjà plaintif n’ajouta qu’un baiser. |
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Hélas ! elle pleurait, sa joue était humide ; |
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Et je pleurai longtemps sans vouloir m’apaiser. |
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C’est que l’exil est triste ; il fait rêver l’enfance. |
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Le jeune voyageur n’a d’ami que le ciel ; |
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Il erre sans asile, il pleure sans défense, |
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Comme un oiseau perdu loin du nid paternel ; |
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Son ramage se change en plaintes douloureuses ; |
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Des oiseaux inconnus les cris le font frémir, |
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Et même, en retournant sur des routes heureuses, |
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S’il veut chanter, longtemps il semble encor gémir. |
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À ses regrets en vain la patrie est rendue, |
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L’orage a dispersé la couvée éperdue ; |
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Ses frères sont partis ; le nid vide est tombé ; |
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En s’envolant, peut-être un d’eux a succombé. |
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Mais je reviens, je vole, et je cherche Marie ; |
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Je cours à son jardin, j’en reconnais les fleurs ; |
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Rien n’y paraît changé. Cette belle chérie |
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Comme autrefois, sans doute, y sème leurs couleurs ; |
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Je l’appelle ; j’attends… Sa chambre est entr’ouverte… |
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Voilà sur son chapeau sa guirlande encor verte ! |
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Joyeuse, je palpite et j’écoute un moment ; |
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Sa mère sur le seuil arrive lentement : |
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Oh ! comme elle a vieilli ! Que deux ans l’ont courbée ! |
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La vieillesse, vois-tu, traîne tant de regrets ! |
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Elle relève enfin sa paupière absorbée, |
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Me regarde, et ne peut se rappeler mes traits. |
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« Où donc, lui dis-je, est Rose ? où donc est votre fille ? |
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A-t-elle aussi quitté sa maison, sa famille ? » |
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Elle s’est tue encore, et, se cachant les yeux, |
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D’une main défaillante elle a montré les cieux. |
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À ses gémissements ma voix n’a pu répondre ; |
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Le jardin me parut en deuil ; |
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Je sentis mon âme se fondre |
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Et mes genoux trembler en repassant le seuil. |
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J’allais… Je demandais… Ta sœur, presque étrangère, |
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Cherchait seule un objet qu’on avait vu si beau : |
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Hélas ! les pieds joyeux évitent la fougère |
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Qui croît à l’entour d’un tombeau. |
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La mort et le malheur épouvantent la vue : |
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On passe en courant devant eux. |
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Que devient l’infortune à la fuite imprévue |
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D’un ami distrait ou honteux ? |
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Parmi tous les témoins de ma première aurore, |
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Le vieux rempart, les champs semblaient m’aimer encore, |
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Le soleil d’autrefois brillait sur mon chemin ; |
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Mais personne, ma sœur, ne me pressa la main. |
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Les jeux avaient cessé pour moi, pauvre et craintive : |
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Et celle qui pleura de nos premiers adieux, |
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Qui m’eût tendu les bras dans sa pitié naïve, |
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Ne vint pas essuyer mes yeux ! |
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J’ai trouvé dans un champ sa nouvelle demeure ; |
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Je l’ai nommée encore en tombant à genoux. |
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Oh ! ma sœur ! à douze ans se peut-il que l’on meure ! |
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Quoi ! moins que sa guirlande elle a vécu pour nous ! |
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L’herbe seule a voilé cette vierge endormie ; |
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Elle aimait les fleurs autrefois ! |
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Tout est triste au tombeau de notre jeune amie ; |
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Son chapelet d’ivoire en orne seul la croix. |
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Comme on nous vit l’attendre au seuil de sa chaumière, |
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Pour l’entourer de notre amour, |
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On verra, par mes soins, quelques feuilles de lierre |
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De son étroit asile embrasser le contour. |
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