ÉLÉGIES |
À MA SŒUR |
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Qu’ai-je appris ! le sais-tu ? sa vie est menacée, |
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On tremble pour ses jours. |
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J’ai couru… Je suis faible… et ma langue glacée |
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Peut à peine… Ma sœur, je l’aime donc toujours ! |
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Quel aveu, quel effroi, quelle triste lumière ! |
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Eh quoi ! ce n’est pas moi qui mourrai la première, |
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Moi qu’il abandonna, moi qu’il a pu trahir, |
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Moi qui fus malheureuse au point de le haïr, |
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Qui l’essayai du moins ! C’est moi qui vis encore ! |
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Et j’apprends qu’il se meurt, j’apprends que je l’adore ; |
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Le voile se déchire en ces moments affreux : |
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Comment ne plus l’aimer quand il n’est plus heureux ! |
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Viens, ma sœur… de ses torts tu m’as crue incapable, |
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Et moi, je ne sais plus qui des deux fut coupable : |
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C’est moi, mon Dieu ! c’est moi, si vous devez punir. |
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Oubliez le passé, je prends son avenir : |
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Dans la tombe qui s’ouvre, ah ! laissez-moi l’attendre ! |
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Qu’il m’y retrouve un jour calmée et toujours tendre ; |
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Que ma main le rassure en le guidant vers vous ; |
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Que je lui dise : « Viens ! plus d’absence entre nous ; |
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Viens ! j’expiai pour toi ton infidèle flamme. » |
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Il me reconnaîtra. Saisi d’un doux remords, |
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Il ne verra plus que mon âme, |
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Il me trouvera belle alors. |
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Dieu ! couvrez-le des fleurs qu’en silence il cultive ! |
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Le monde est beau pour lui, l’amour l’attend… qu’il vive ! |
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Donnez-lui tous les biens qui me furent promis ; |
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Rendez sa jeune gloire à ses jeunes amis ; |
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Qu’ils marchent tous ensemble, et qu’il les guide encore |
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Vers ces lauriers lointains que le bel âge adore !… |
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Cette foule riante à l’aspect d’un cercueil |
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Allez-vous la changer en cortège de deuil ? |
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N’achèveront-ils pas leur veille harmonieuse ? |
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En exilerez-vous sa voix mélodieuse ? |
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Le départ d’un ami rompt souvent tous les jeux, |
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C’est un anneau brisé qui déjoint d’autres nœuds ; |
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Ah ! laissez-les chanter ! et que sa rêverie |
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Porte un jour quelques fleurs à ma cendre flétrie ; |
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Que des parfums si doux consolent mes cyprès ; |
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Qu’il vive de ma vie, et je meurs sans regrets ! |
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Ma vie, hélas ! c’est peu ; mais il souffre et j’implore. |
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Jetez, jetez sur moi ce mal qui le dévore ; |
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Qu’il vive enfin… (Cruel, juge si je t’aimais !) |
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Qu’il vive pour une autre et m’oublie à jamais ! |
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Dis ! crois-tu que le ciel m’exauce et lui pardonne, |
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Ma sœur, ou que le ciel comme lui m’abandonne ? |
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Qu’il rejette ma vie en le privant du jour, |
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Et punisse la haine où se cachait l’amour ?… |
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Tu fais bien d’écouter sans répondre à mes plaintes, |
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J’aime mieux ta pâleur et tes muettes craintes ; |
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Ta tristesse m’aide à souffrir : |
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Peux-tu me consoler, ma sœur, il va mourir ! |
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Priez pour lui, moi je succombe. |
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La porte s’ouvre… elle retombe, |
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Ah !… que ce bruit sourd m’a fait peur ! |
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On dirait que la mort a passé sur mon cœur. |
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Voyez-vous ses amis ? leur silence est horrible ! |
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Allons au-devant d’eux, parlez, demandez-leur… |
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Non, la force me manque et je crains le malheur ; |
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Hélas ! si vous saviez, que son poids est terrible ! |
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Que nous répondraient-ils ?… mais ils sont déjà loin. |
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De m’arracher le cœur nul ne prendra le soin : |
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J’ignorerai son sort, on m’y croit étrangère ; |
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Et près de sa demeure, et si triste, et si chère, |
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Personne, excepté vous, n’aurait guidé mes pas : |
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Quand j’expire à sa porte, on ne m’y connaît pas. |
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Pourquoi souffriraient-ils de ma lente agonie ? |
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Dans la foule perdus, oh ! ma chère Eugénie, |
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Nous croyons l’univers instruit de nos douleurs, |
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Et même aux cœurs heureux nous demandons des pleurs. |
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Laissez-moi seule, allez, retournez la première. |
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Voyez, le ciel se couvre, et le jour va finir ; |
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Voyez sous ces rideaux trembler une lumière ; |
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C’est là peut-être… et moi, que vais-je devenir ? |
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On ferme lentement ; il semble que l’on pleure : |
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Oh ! que je voudrais voir ! |
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Écoutez cette cloche, écoutez… Non ! c’est l’heure, |
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Enfin, c’est la prière, et c’est encor l’espoir ! |
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Priez pour lui, priez ! laissez… quittez l’envie |
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De rappeler le temps où j’ai cru le haïr. |
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Ma sœur, obtiens des cieux qu’ils lui rendent la vie , |
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Après, tu me diras qu’il faut encor le fuir. |
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