ÉLÉGIES |
À MADEMOISELLE GEORGINA NAIRAC |
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Ah ! prends garde à l’amour, il menace ta vie ; |
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Je l’ai vu dans les pleurs que tu verses pour moi. |
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Prends garde, s’il est temps ! il erre autour de toi, |
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Et c’est avec des pleurs aussi qu’il m’a suivie. |
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Retourne vers ta mère et ne la quitte pas. |
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Va, comme un faible oiseau que menace l’orage, |
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Contre son sein paisible appuyer ton courage ; |
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Portes-y ta jeunesse, enchaînes-y tes pas. |
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Plus heureuse que nous, de son printemps calmée, |
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Laisse-la te soustraire à de vaines douleurs. |
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Va ! tu me béniras de t’avoir alarmée ; |
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Je fus confiante, et je meurs. |
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Folle sécurité d’une âme qui s’ignore, |
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C’est donc ainsi toujours que vous devez finir ? |
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Quand on n’a pas souffert on ne sait rien encore, |
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On ne veut confier son cœur qu’à l’avenir. |
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Dans l’âge du danger, je n’avais plus de mère : |
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Déjà mon tendre guide, arrêté par la mort, |
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N’entendait plus ma plainte amère ; |
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Déjà ses yeux fermés n’éclairaient plus mon sort. |
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Retourne vers ta mère, et que ton innocence, |
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Prudemment effrayée au tableau de mes jours, |
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Joigne à mon souvenir, qu’il faut plaindre toujours, |
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Une longue reconnaissance. |
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Mais tu n’as pas souffert ? ta tranquille pitié, |
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Dis-le moi, n’a donné ses pleurs qu’à l’amitié ? |
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Non, tu n’as pas senti cette fièvre de l’âme, |
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Ce frisson douloureux qui passe au fond du cœur. |
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L’air ne t’a pas semblé comme une molle flamme, |
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Qui verse dans les sens la soif et la langueur ? |
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Ce triste isolement, ce tendre ennui, ces larmes, |
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Ce besoin de presser un cœur semblable au tien, |
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D’une voix qui poursuit le fidèle entretien, |
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Rien n’a comblé ta vie et de crainte et de charmes ? |
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Cet objet souhaité, dans un jour imprévu, |
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Ne t’a pas sur son sein réunie à toi-même ; |
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Ce tendre objet qui trompe, et qu’il faut que l’on aime, |
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Tu ne l’as jamais vu !… |
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Je l’ai vu plein d’amour, et l’amour m’a trompée ; |
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Je ne croyais que lui ; de lui seul occupée, |
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J’ai perdu mon repos dans sa félicité ; |
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Je l’ai voulu. Mon Dieu ! c’était sa volonté. |
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Il savait tant de mots pour me rendre sensible, |
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Pour instruire mon âme ardente à la douleur ! |
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Lui seul a ce pouvoir, cet art, ce don flexible, |
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Lui seul donne la vie ensemble et le malheur. |
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Mais le malheur enfin détache de la vie. |
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Non, je ne veux plus de mon sort, |
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Je ne veux plus souffrir. Sais-tu ce que j’envie ? |
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Sais-tu ce qu’après lui j’ai souhaité ? La mort. |
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Son pied ne presse plus le seuil de ma demeure, |
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Et pour ne la plus voir il invente un chemin. |
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Sans lui rien demander, j’écoute passer l’heure ; |
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L’heure dit comme lui : « Ni ce soir, ni demain ! » |
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Mais je compte, j’attends que moins inexorable |
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Une heure, la dernière à mes maux secourable, |
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Éteigne sur ma cendre un importun flambeau, |
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Et défende à l’amour de troubler mon tombeau. |
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Quand celui qui me fuit ne songeait qu’à me suivre, |
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Le cours de mes beaux ans fut près de se tarir : |
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Qu’il m’eût alors été doux de mourir |
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Pour l’amant dont les pleurs me suppliaient de vivre ! |
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« Ne meurs pas, disait-il, ou je meurs avec toi ! » |
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Et mon âme, enchaînée à cette âme amoureuse, |
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N’osa… quitter la terre et combler son effroi. |
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L’imprudent ! sous ses pleurs j’allais m’éteindre heureuse. |
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J’allais mourir aimée. Il m’a rendu des jours, |
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Pour m’apprendre, ô douleur ! qu’on n’aime pas toujours. |
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Une nouvelle voix à son oreille est douce ; |
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D’autres yeux qu’il entend désarment son courroux ; |
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Et ce n’est plus ma main qu’il presse ou qu’il repousse, |
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Alors qu’il est tendre ou jaloux. |
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Quoi ! ce n’est plus vers moi qu’il apporte sans crainte |
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Son espoir, son désir, son plus secret dessein : |
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Et s’il est malheureux, s’il exhale une plainte, |
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Ce n’est plus dans mon sein ! |
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L’ai-je trahi ? Jamais. Il eut mon âme entière. |
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Hélas ! j’étais étreinte à lui comme le lierre. |
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Que pour m’en arracher il m’a fallu souffrir ! |
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Dans cet effort cruel je me sentis mourir. |
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Il détourna les yeux, il n’a pas vu mes larmes ; |
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Mon reproche jamais n’éveilla ses alarmes ; |
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Jamais de ses beaux jours je ne ternis un jour ; |
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Il garda le bonheur ; moi, j’ai gardé l’amour. |
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