ÉLÉGIES |
LE PRINTEMPS |
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Le printemps est si beau ! Sa chaleur embaumée |
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Descend au fond des cœurs réveillés et surpris : |
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Une voix qui dormait, une ombre accoutumée, |
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Redemande l’amour à nos sens attendris. |
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La raison vainement à ce danger s’oppose, |
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L’image inattendue enivre la raison : |
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Tel un insecte ailé s’élance sur la rose, |
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Et la brûle d’un doux poison. |
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Des jeunes souvenirs la foule caressante |
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Accourt, brave la crainte, et l’espace et le temps : |
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Qui n’a cru respirer, dans la fleur renaissante, |
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Les parfums regrettés de ses premiers printemps ? |
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Et moi, dans un accent qui trouble et qui captive, |
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Naguère un charme triste est venu m’attendrir. |
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L’écouterai-je encor, curieuse et craintive, |
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Ce doux accent qui fait mourir ? |
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Ce nom… j’allais le dire ; il m’est donc cher encore ? |
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Ma frayeur n’a donc plus de force contre lui ? |
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Toi, qui ne m’entends pas, d’où vient que je t’implore ? |
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N’es-tu pas loin ? n’ai-je pas fui ? |
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Reverrai-je tes yeux, dont l’ardente prière |
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Obtiendrait tout des cieux ? |
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Oui, pour ne les plus voir j’abaisse ma paupière, |
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Je m’enfuis dans mon âme, et j’ai revu tes yeux ! |
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L’oiseau né sous nos toits, dans la saison brûlante, |
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Tourne autour des maisons qu’il reconnaît toujours, |
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Effleure dans son vol l’ardoise étincelante, |
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S’y pose, chante, fuit, et revient tous les jours : |
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Ton chant avec le sien se fond dans ma pensée ; |
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Trop de bonheur remplit ma poitrine oppressée ; |
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Je pâlis de plaisir à ces cris du retour ; |
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J’ai ressenti ta voix, j’ai reconnu l’amour ! |
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Dans le demi-sommeil où je tombe rêveuse, |
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Je te crains, je t’espère et je te sens venir ; |
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Tu parles, mais si bas ! une oreille amoureuse |
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Peut seule entendre et retenir : |
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« Veux-tu, mais ne dis pas que l’heure est trop rapide, |
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« Veux-tu voir la montagne et le courant limpide ? |
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« Veux-tu venir au pied du grand chêne abattu ? » |
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Moi, je ne réponds pas pour écouter : « Veux-tu ? |
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« Veux-tu, mais ne dis pas que la lune est cachée, |
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« Veux-tu voir notre image au bord des flots penchée ? |
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« Ne tremble pas, tout dort ; l’écho même s’est tu. » |
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Et mon refus se meurt en écoutant : « Veux-tu ! » |
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D’un bouquet ma tristesse hier s’estétait parée ; |
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Dans l’ombre, tout à coup, qui l’ôta de mon sein ? |
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Ai-je senti le feu de ta main adorée ? |
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Est-ce toi, mon amour, qui cueillis ce larcin ? |
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Pourquoi troubler mon sort qui devenait paisible ? |
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Dans tout ce qui me plaît viens-tu tenter ma foi ? |
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Dis ! pourquoi ta main invisible |
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Se pose-t-elle encor sur moi ? |
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Pourquoi ton haleine enflammée |
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Soulève-t-elle mes cheveux ? |
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Pourquoi ce faible écho, craintif comme nos vœux, |
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Dit-il contre mon cœur : « Bonsoir, ma bien-aimée ! » |
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Ah ! je t’en prie, il ne faut plus venir |
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Redemander mon âme presque heureuse. |
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Je crains de toi jusqu’à ton souvenir : |
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Loin du danger je suis encor peureuse… |
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Je ne t’accuse pas ! Qui sait si le tombeau |
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Sera froid sur mon corps, si ton souffle l’effleure ? |
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Je ne t’accuse pas ! je pleure, |
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Et j’ aime le printemps ; le printemps est si beau ! |
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