ÉLÉGIES |
À L’AMOUR |
|
Reprends de ce bouquet les trompeuses couleurs, |
12 |
|
Ces lettres qui font mon supplice, |
8 |
|
Ce portrait qui fut ton complice ; |
8 |
|
Il te ressemble, il rit, tout baigné de mes pleurs. |
12 |
|
5 |
Je te rends ce trésor funeste, |
8 |
|
Ce froid témoin de mon affreux ennui. |
10 |
|
Ton souvenir brûlant, que je déteste, |
10 |
|
Sera bientôt froid comme lui. |
8 |
|
Oh ! reprends tout. Si ma main tremble encore, |
10 |
10 |
C’est que j’ai cru te voir sous ces traits que j’abhorre. |
12 |
|
Oui, j’ai cru rencontrer le regard d’un trompeur ; |
12 |
|
Ce fantôme a troublé mon courage timide. |
12 |
|
Ciel ! on peut donc mourir à l’aspect d’un perfide, |
12 |
|
Si son ombre fait tant de peur ! |
8 |
|
15 |
Comme ces feux errants dont le reflet égare, |
12 |
|
La flamme de ses yeux a passé devant moi ; |
12 |
|
Je rougis d’oublier qu’enfin tout nous sépare ; |
12 |
|
Mais je n’en rougis que pour toi. |
8 |
|
Que mes froids sentiments s’expriment avec peine ! |
12 |
20 |
Amour… que je te hais de m’apprendre la haine ! |
12 |
|
Éloigne-toi, reprends ces trompeuses couleurs, |
12 |
|
Ces lettres, qui font mon supplice, |
8 |
|
Ce portrait, qui fut ton complice ; |
8 |
|
Il te ressemble, il rit, tout baigné de mes pleurs ! |
12 |
|
25 |
Cache au moins ma colère au cruel qui t’envoie ; |
12 |
|
Dis que j’ai tout brisé, sans larmes, sans efforts ; |
12 |
|
En lui peignant mes douloureux transports, |
10 |
|
Tu lui donnerais trop de joie. |
8 |
|
Reprends aussi, reprends les écrits dangereux, |
12 |
30 |
Où, cachant sous des fleurs son premier artifice, |
12 |
|
Il voulut essayer sa cruauté novice |
12 |
|
Sur un cœur simple et malheureux. |
8 |
|
Quand tu voudras encore égarer l’innocence, |
12 |
|
Quand tu voudras voir brûler et languir, |
10 |
35 |
Quand tu voudras faire aimer et mourir, |
10 |
|
N’emprunte pas d’autre éloquence. |
8 |
|
L’art de séduire est là, comme il est dans son cœur ! |
12 |
|
Va, tu n’as plus besoin d’étude. |
8 |
|
Sois léger par penchant, ingrat par habitude ; |
12 |
40 |
Donne la fièvre, Amour, et garde ta froideur. |
12 |
|
Ne change rien aux aveux pleins de charmes |
10 |
|
Dont la magie entraîne au désespoir : |
10 |
|
Tu peux de chaque mot calculer le pouvoir, |
12 |
|
Et choisir ceux encore imprégnés de mes larmes. |
12 |
45 |
Il n’ose me répondre, il s’envole… il est loin. |
12 |
|
Puisse-t-il d’un ingrat éterniser l’absence ! |
12 |
|
Il faudrait par fierté sourire en sa présence : |
12 |
|
J’aime mieux souffrir sans témoin. |
8 |
|
Il ne reviendra plus, il sait que je l’abhorre ; |
12 |
50 |
Je l’ai dit à l’Amour, qui déjà s’est enfui. |
12 |
|
S’il osait revenir, je le dirais encore : |
12 |
|
Mais on approche, on parle… Hélas ! ce n’est pas lui ! |
12 |
|