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Marceline DESBORDES-VALMORE
POÉSIES
1830
POÉSIES INÉDITES
MÉLANGES
LE PETIT OISELEUR
CONTE D’ENFANT
La mère
Vous voilà bien riant, mon amour ! quelle joie ! 12
Comme un petit chasseur, traînez-vous quelque proie ? 12
Sous ce fragile osier cachez-vous un trésor ? 12
L’enfant
C’est un oiseau du ciel ; il a des plumes d’or. 12
5 Il reposait son vol au bord de la fontaine ; 12
J’ai retenu longtemps mes pas et mon haleine ; 12
Quand il a secoué son plumage plein d’eau, 12
J’ai saisi ses ailes mouillées, 8
Et le voilà blotti dans les fleurs effeuillées. 12
10 Regardez qu’il est bien, ma mère, et qu’il est beau ! 12
La mère
Oui, je l’entends gémir.
L’enfant
Non, mère ! c’est qu’il chante.
La mère
Vous croyez, mon amour ? Sa chanson est touchante. 12
L’enfant
Je crois qu’il est content, puisqu’il est dans les fleurs ; 12
Il les aime. Son nid est sous l’amandier rose, 12
15 Cet arbre au fruit de lait que la fontaine arrose ; 12
C’est là qu’il dérobait ses brillantes couleurs. 12
La mère
Y demeurait-il seul ?
L’enfant
Ses enfants sont au gîte :
C’était pour les revoir qu’il se baignait si vite. 12
Mais je n’ai point de peur, ils ne sauraient bouger : 12
20 Ils n’ont pas une plume et n’ont rien à manger. 12
La mère
Que vont-ils devenir ?
L’enfant
J’agrandirai la cage ;
J’en ferai dans l’hiver un semblant de bocage ; 12
Et j’aurai mille oiseaux qui chanteront toujours. 12
Que de musiciens pour amuser mes jours ! 12
25 Quel bonheur de nourrir tant de joyeux esclaves ! 12
À peine ils sentiront leurs légères entraves. 12
Ô ma mère ! j’y cours.
La mère
Arrêtez… Il fait nuit ;
Quelque chose de triste entoure ce réduit ; 12
Restez ! de noirs soldats les farouches cohortes 12
30 Au coucher du soleil ont assailli nos portes. 12
Ne vous éloignez pas, ne quittez plus mon sein ; 12
De vous saisir peut-être ils avaient le dessein. 12
L’enfant
Des soldats ? et beaucoup, ma mère ? et pour me prendre ? 12
La mère
Vous, charme de ma vie, et pour ne plus vous rendre. 12
L’enfant
Que feront-ils de moi ?
La mère
35 Qui le sait ? Un captif,
Un orphelin, peut-être ; un prisonnier plaintif. 12
L’enfant
Sauvez-moi !
La mère
Priez Dieu, c’est en lui que j’espère,
Loin de nous les cruels emmènent votre père, 12
Ce père si content quand il vous embrassait ! 12
40 Ce gardien de vos jours et qui les nourrissait ! 12
L’enfant
Mon père prisonnier ?
La mère
C’est le roi qui l’ordonne.
L’enfant
Qu’est-ce qu’un roi ?
La mère
Puissant par l’amour ou l’effroi,
Un maître s’il punit, presque un dieu s’il pardonne. 12
L’enfant
Ah ! laissez-moi sortir : je veux parler au roi ; 12
Mon père va mourir !
La mère
45 Eh quoi ! si jeune encore,
Savez-vous que l’on meurt loin de ceux qu’on adore ? 12
Qu’arraché de son toit votre appui va souffrir ? 12
Que sans la liberté l’on n’a plus qu’à mourir ? 12
Savez-vous qu’en prison la vie est bien amère ? 12
L’enfant
50 Oui, nous mourrons sans vous, et vous mourrez, ma mère. 12
Mais ce roi si méchant, qui l’a mis en couroux ? 12
La mère
Le roi n’est ni méchant ni cruel plus que vous, 12
Mon fils. Las de ses jeux, il vient troubler les nôtres ; 12
Libre, il a des captifs : n’avez-vous pas les vôtres ? 12
55 Dans une chambre étroite il vous renfermera, 12
Mais vous serez content, car il vous nourrira. 12
Pourquoi de vos sanglots déchirez-vous mon âme ? 12
Est-ce à vous, cher coupable, à murmurer le blâme ? 12
Nous sommes des oiseaux dans ses cages plongés. 12
60 Pourquoi de son plaisir serions-nous affligés, 12
Si, dans ses jeux de roi qu’on a fait légitimes, 12
De lumière et d’air pur il prive ses victimes ? 12
Où courez-vous ?
L’enfant
De l’air ! de l’air au prisonnier !
Qu’il respire, ma mère, et qu’il vole, et qu’il vive ! 12
65 Oiseau ! des malheureux que n’es-tu le dernier ! 12
Je ne veux point d’esclave !
La mère
Ô clémence naïve !
Embrassez-moi, mon fils, vous m’arrachez des pleurs : 12
Soyez libre vous-même, et calmez vos douleurs. 12
Quoi ! jusque dans mes bras votre frayeur palpite !… 12
70 Ah ! le cœur de l’oiseau palpitait-il moins vite, 12
Quand votre instinct cruel empêcha son essor ? 12
Enfant, sans vos chagrins quel eût été son sort ? 12
Vous ravissiez l’époux à l’épouse éperdue ; 12
Elle eût traîné sa plainte, et Dieu l’eût entendue ! 12
75 Et les petits tout nus, glacés dans votre main, 12
Auraient péri de froid, de langueur et de faim. 12
L’enfant
Ah ! je n’y songeais pas !
La mère
Maintenant tout respire,
Tout se calme et s’endort.
L’enfant
Et mon père ?
La mère
Il soupire,
Comme l’oiseau du ciel un moment arrêté ; 12
80 Mais Dieu, qui voit partout, veille à sa liberté. 12
L’enfant
Le roi le voudra-t-il ? nous rendra-t-il mon père ? 12
La mère
Oui, mon fils ! oui, mon bien ! maintenant je l’espère ; 12
Oui, s’il a des enfants comme les miens chéris, 12
Des jeunes suppliants il accueille les cris. 12
85 Un père a dans le cœur je ne sais quoi de tendre ; 12
Toutes les voix d’enfant savent s’y faire entendre. 12
L’enfant
Je veux le voir. Venez ! conduisez-moi vers lui. 12
La mère
Oui, mon amour, demain.
L’enfant
Pas demain, aujourd’hui.
La mère
Quoi ! votre chère enfance à cette heure exposée ?… 12
L’enfant
90 Je veux montrer au roi cette cage brisée ; 12
Je lui dirai : « Voyez ! je fus méchant aussi ; 12
Je ne le suis plus, Dieu merci ! 8
Au captif innocent j’ai rendu la volée, 12
Et sa famille consolée 8
95 À cette heure est au nid plus heureuse que nous ! 12
Le même arbre en ses fleurs les couvre et les rassemble : 12
Chaque famille ainsi doit s’endormir ensemble, 12
Et nous venons chercher mon père à vos genoux. » 12
La mère
Écoutez !… par l’appui de quelque voix divine, 12
100 On dirait que le roi vous plaint et vous devine ; 12
Car voici votre père, il a tout entendu : 12
Enfant ! Dieu vous absout, puisqu’il nous est rendu ! 12
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