| IDYLLES |
| UNE JEUNE FILLE ET SA MÈRE |
La jeune fille
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Ce jour si beau, ma mère, était-ce un jour de fête ? |
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La Mère
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Quel jour ? dors-tu ? d’où vient que tu n’achèves pas ? |
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La jeune fille
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C’est qu’en le rappelant, ma voix tremble et s’arrête ; |
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Je cesse d’en parler pour y penser tout bas… |
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Ce jour donnait des fleurs que je n’avais point vues ; |
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Mille parfums nouveaux sortaient des champs plus verts, |
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Et pour ces douceurs imprévues, |
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Les oiseaux plus nombreux inventaient des concerts ; |
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Le soleil répandait comme une autre lumière, |
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Il embrasait le ciel, il brûlait ma paupière, |
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Il éclairait ma vie avec d’autres couleurs… |
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La Mère
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D’où vient qu’un si beau jour te fait verser des pleurs ? |
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D’où vient que de tes mains s’échappe ton ouvrage ? |
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La jeune fille
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Ma mère, je languis, je n’ai plus de courage. |
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Si vous saviez mon mal, vous pourriez le guérir : |
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Forcez-moi de parler, car j’ai peur de mourir. |
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La Mère
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Parle donc ! N’est-ce pas le jour de ta naissance ? |
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Car c’est la fête aussi du maternel séjour. |
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La jeune fille
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Non. Je plaignais alors ceux qu’afflige l’absence ; |
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Et Daphnis, au hameau, n’était pas de retour. |
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La Mère
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Daphnis ! Que fait Daphnis à la nature entière ? |
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De son père à la ville il conduit les troupeaux ; |
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Il a déjà sans doute oublié sa chaumière. |
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La jeune fille
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Non ! ma mère. C’est lui qui fait les jours si beaux ! |
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La Mère
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Je l’ai cru pour six mois absent de la contrée. |
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La jeune fille
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Je le craignais aussi ; mais il m’a rencontrée. |
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Il arrivait tout seul, j’étais seule à mon tour… |
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Ma mère, quel bonheur ! Daphnis m’a dit bonjour. |
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La jeune fille
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Et toi ? J’ai dit bonjour, car vous aimez son père. |
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Il a bien des vertus, n’est-il pas vrai, ma mère ? |
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La jeune fille
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Et son fils ? On dirait que c’est son père enfant. |
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Ce bon vieillard se plaint de n’avoir point de fille : |
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« C’est une fleur, dit-il, qui pare une famille. » |
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Alors, il me regarde et m’embrasse souvent. |
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La jeune fille
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Et son fils ? Il soutient que l’absence est cruelle : |
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Je le savais ! il sait qu’on peut mourir par elle, |
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Qu’à chaque instant du jour il faut en soupirer, |
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Et qu’en chantant surtout on est près de pleurer. |
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« Dans mes ennuis, dit-il, j’ai fait une couronne ; |
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« Elle est fanée, hélas ! pourtant je te la donne. » |
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Je l’ai sentie alors descendre sur mes yeux, |
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Et je n’y voyais plus ; mais sa voix est si tendre ! |
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Et depuis si longtemps je n’avais pu l’entendre ! |
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Et quand on n’y voit plus, ma mère, on entend mieux. |
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La Mère
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Qu’a-t-il donc ajouté ? |
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La jeune fille
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Qu’a-t-il donc ajouté ? Que son cœur lui conseille |
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De quitter un vain bruit pour le calme des champs, |
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Pour nos danses du soir, nos fêtes, nos doux chants, |
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Pour retrouver ma voix qui manque à son oreille ; |
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Que son père le plaint et le fait revenir : |
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« Mais, a-t-il dit plus bas, que vais-je devenir ? |
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« Mon père te connaît, il sait donc que je t’aime ; |
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« Et moi, je ne sais pas si tu penses de même ? » |
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Je n’ai pu le lui dire avant de vous parler, |
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Ma mère, et j’ai senti qu’il fallait m’en aller. |
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La jeune fille
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Tu l’as quitté ? J’étais tremblante, |
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Je ne pouvais courir. Une joie accablante |
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Me retenait toujours ; toujours je m’arrêtais. |
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La Mère
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Et que répondais-tu ? |
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La jeune fille
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Et que répondais-tu ? Ma mère, j’écoutais. |
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Depuis, pour vous parler, je reste à la chaumière ; |
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Daphnis en vain m’attend, je pleure en vain tout bas ; |
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Je ne puis parler la première, |
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Et vous ne me devinez pas ! |
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Je tremble auprès de lui ; je tremble ici de même : |
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Nos tourments ne sont pas finis ! |
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Jamais je n’oserai vous dire que je l’aime… |
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La Mère
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Eh bien ! je te permets de le dire à Daphnis. |
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