POÉSIES DIVERSES |
LES DEUX ABEILLES |
À MON ONCLE |
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Au fond d’une vallée où s’éveillaient les fleurs, |
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On vit légèrement descendre deux abeilles ; |
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Elles cherchaient des yeux ces fleurs, tendres merveilles, |
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Où l’aurore en passant avait laissé des pleurs. |
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L’herbe brillait de perles arrosée ; |
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L’horizon bleu, les gouttes de rosée, |
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Sur la colline une ardente clarté, |
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Tout annonçait un jour brûlant d’été, |
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Tout l’attestait ; car un jardin rustique |
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Répandait à l’entour des deux errantes sœurs |
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De frais parfums, d’attrayantes douceurs, |
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Et d’un souffle embaumé la langueur sympathique. |
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Toutes deux ont franchi l’enclos vert du jardin : |
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« Voyez ! » dit la plus vive, elle était frêle et blonde, |
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« Voyez que de trésors ! ce n’est rien que jasmin, |
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Lilas, rose, et je crois toutes les fleurs du monde. » |
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Cette folle suivait son volage désir, |
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Aux suaves bouquets se suspendait à peine, |
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Prodiguant ses baisers jusqu’à manquer d’haleine, |
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Disant : « Demain le miel, aujourd’hui le plaisir ! » |
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L’autre, plus posément, savourait les délices |
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Du banquet préparé pour les filles de l’air, |
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Et, prévoyante aux besoins de l’hiver, |
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Pour la ruche épuisée en gardait les prémices. |
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Leurs ailes en tremblaient ; mais un globe fatal, |
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Suspendu dans les fleurs sous la méridienne, |
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Semble de l’ambroisie offrir le doux régal |
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À la jeune épicurienne. |
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Sous ce cristal frappé de tous les feux du ciel, |
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S’échauffe et fermente le miel, |
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Innocente liqueur pour l’homme préparée, |
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Mais qui donne la mort à la mouche dorée ; |
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Sa force s’y consume, et sa raison s’y perd. |
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L’abîme transparent par malheur est ouvert ; |
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L’imprudente n’y voit qu’un don de la fortune ; |
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Sa sœur, qui l’en détourne, est presqu’une importune, |
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Et, malgré ses conseils, elle court s’y plonger : |
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Quand on veut le bonheur, en voit-on le danger ? |
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« Par quel charme imposteur vous êtes asservie, |
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Dit l’autre en soupirant ; vous me faites pitié ; |
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Quittez ce doux breuvage, au nom de l’amitié, |
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Peut-être, hélas ! au nom de votre vie ! |
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Vous ne m’écoutez pas. Je reviendrai ce soir. |
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Ô ma sœur ! le travail est utile à notre âge. |
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Puissé-je ne pas voir bientôt, chère volage, |
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Ce que je tremble de prévoir. » |
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Elle retourne aux fleurs avec inquiétude. |
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Ce beau jour lui paraît plus lent qu’un autre jour ; |
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Tout suc lui semble amer, et sa sollicitude |
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Implore, et croit du soir avancer le retour. |
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Enfin à l’horizon le soleil va s’éteindre ; |
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Elle vole à sa sœur, et, tout près de l’atteindre, |
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L’appelle en la grondant d’un ton craintif et doux : |
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« Allons, il se fait tard ; me voici, venez-vous ? |
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— Il n’est plus temps, ma sœur, je suis trop accablée ; |
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Je ne puis plus me sauver de ce lieu. |
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Je vous regarde encor, mais ma vue est troublée ; |
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Mon corps brûle et languit ; venez me dire adieu, |
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Je ne puis me mouvoir. Un grand feu me dévore : |
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Mes ailes, je le sens, ne peuvent m’emporter ; |
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Voyez comme je suis ! mais soyez bonne encore ; |
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Si mon crime (il est grand !) ne peut se racheter, |
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Ne me haïssez pas, je n’étais pas méchante : |
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La volupté trompeuse égarait ma raison ; |
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Ce breuvage mortel dont l’ardeur nous enchante, |
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Que je l’aimais, ma sœur ! et c’était un poison ! |
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Je me repens, et je succombe. |
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Sous une fleur creusez ma tombe. |
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Adieu ! Pourquoi le ciel créa-t-il le désir, |
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S’il a caché la mort dans le plaisir ? » |
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Elle ne parle plus. Ses ailes s’étendirent, |
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Ses petits pieds doucement se raidirent ; |
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Et sa sœur gémissante eut peine à s’envoler. |
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Ce tableau d’un long deuil accabla sa mémoire ; |
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Elle fut toujours triste, et jamais, dit l’histoire, |
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Même au sein du travail ne put se consoler. |
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