POÉSIES DIVERSES |
LE PETIT MENTEUR |
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Venez bien près, plus près, qu’on ne puisse m’entendre : |
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Un bruit vole sur vous, mais qu’il est peu flatteur ! |
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Votre mère en est triste ; elle vous est si tendre ! |
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On dit, mon cher amour, que vous êtes menteur. |
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Au lieu d’apprendre en paix la leçon qu’on vous donne, |
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Vous faites le plaintif, vous traînez votre voix, |
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Et vous criez très haut : « Hé ! ma bonne ! ma bonne ! » |
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L’écho, qui me dit tout, m’en a parlé deux fois. |
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Vous avez effrayé cette bonne attentive, |
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Et, pour vous secourir, |
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Près de vous, toute pâle, on l’a vue accourir. |
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Hélas ! vous avez ri de sa bonté craintive, |
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Enfant ! vous avez ri ! quelle douleur pour nous ! |
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On ne croira donc plus à vos jeunes alarmes ! |
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Si j’avais eu ce tort, j’irais à deux genoux |
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Lui demander pardon d’avoir ri de ses larmes, |
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J’irais… Ne pleurez pas ; causons avant d’agir ; |
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Écoutez une histoire, et jugez-la vous-même : |
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Cachez-vous cependant sur ce cœur qui vous aime ; |
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Je rougis de vous voir rougir. |
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« Au loup ! au loup ! à moi ! » criait un jeune pâtre ; |
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Et les bergers entr’eux suspendaient leurs discours. |
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Trompé par les clameurs du rustique folâtre, |
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Tout venait, jusqu’aux chiens, tout volait au secours. |
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Ayant de tant de cœurs éveillé le courage, |
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Tirant l’un du sommeil, et l’autre de l’ouvrage, |
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Il se mettait à rire, il se croyait bien fin : |
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« Je suis loup » disait-il. Mais attendez la fin. |
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Un jour que les bergers, au fond d’une vallée, |
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Appelant la gaîté sur leurs aigres pipeaux, |
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Confondaient leurs repas, leurs chansons, leurs troupeaux, |
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Et de leurs pieds, joyeux, pressaient l’herbe foulée : |
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« Au loup ! au loup ! à moi ! » dit le jeune garçon ; |
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« Au loup ! » répéta-t-il d’une voix lamentable. |
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Pas un n’abandonna la danse ni la table : |
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« Il est loup, dirent-ils, à d’autres la leçon ! » |
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Et toutefois le loup dévorait la plus belle |
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De ses belles brebis ; |
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Et, pour punir l’enfant qu’il traitait de rebelle, |
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Il lui montrait les dents, et rompait ses habits ; |
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Et le pauvre menteur, élevant ses prières, |
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N’attristait que l’écho ; ses cris n’amenaient rien. |
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Tout riait, tout dansait au loin sur les bruyères. |
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« Eh quoi ! pas un ami, dit-il, pas même un chien ! » |
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On ajoute, et vraiment, c’est pitié de le croire, |
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Qu’il serrait la brebis dans ses deux bras tremblants ; |
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Et, quand il vint en pleurs raconter son histoire, |
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On vit que ses deux bras étaient nus et sanglants, |
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« Il ne ment pas, dit-on, il tremble ! il saigne ! il pleure ! |
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Quoi ! c’est donc vrai, Colas ? » Il s’appelait Colas. |
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« Nous avons bien ri tout-à-l’heure ; |
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Et la brebis est morte ! elle est mangée… hélas ! » |
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On le plaignit. Un rustre, insensible à ses larmes, |
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Lui dit : « Tu fus menteur, tu trompas notre effroi : |
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Or, s’il m’avait trompé, le menteur, fût-il roi, |
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Me crierait vainement aux armes. » |
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Et vous n’êtes pas roi, mon ange, et vous mentez ! |
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Ici, pas un flatteur dont la voix vous abuse ; |
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Vous n’avez point d’excuse. |
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Quand vous aurez perdu tous les cœurs révoltés, |
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Vous ne direz qu’à moi votre souffrance amère, |
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Car on ne ment pas à sa mère. |
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Tout s’enfuira de vous, j’en pleurerai tout bas ; |
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Vous n’aurez plus d’amis, je n’aurai plus de joie. |
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Que ferons-nous alors ? Oh ! ne vous cachez pas ! |
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Prenez un peu courage, enfant, que je vous voie ! |
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Vous me touchez le cœur, j’y sens votre pardon ; |
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Allez, petit chéri, ne trompez plus personne, |
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Soyez sage, aimez Dieu, je crois qu’il vous pardonne ; |
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Il est père, il est bon ! |
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