POÉSIES DIVERSES |
LE PÉLICAN |
OU LES DEUX MÈRES |
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Tout perdu dans le soin de sa jeune famille, |
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Sur la vague qui passe, et qui roule, et qui brille, |
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Un Pélican s’incline, et saisit les poissons |
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Qu’il offre en espérance à ses chers nourrissons. |
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Sans affaire, et livrée à l’amour d’elle-même, |
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L’Autruche, en digérant, vient le long du rocher. |
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Son repas est fini, qu’aurait-elle à chercher ? |
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Elle porte tout ce qu’elle aime. |
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« Grand dieu ! d’où venez-vous ?» dit-elle au tendre oiseau |
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Dont la poitrine est ouverte et sanglante. |
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« Sortez-vous d’un combat, d’un piège, d’un réseau ? |
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Le coup est-il mortel ? j’en suis presque tremblante. |
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Parlez donc ! quelle flèche ou quel ongle assassin |
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Vous déchira le sein ? |
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Vous faites peur. — C’est moi, c’est un peu de ma vie, |
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Répond le Pélican à sa pêche assidu. |
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Vous allez me porter envie : |
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Mes petits avaient faim : mon sang n’est pas perdu, |
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Je l’ai versé pour eux. — Quoi ! dit l’autre irritée, |
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Votre sang !… taisez-vous ! on ne peut sans horreur |
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Supporter dans l’amour cet excès de fureur ; |
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Il soulève, il repousse, et j’en suis révoltée. |
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Vous perdez le bon sens, vos petits vous tueront, |
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Et les oiseaux riront. |
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Laissez ces préjugés aux tendres tourterelles. |
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L’amour est un besoin qu’il est doux d’éprouver, |
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Mais je n’aurais point d’œufs s’il fallait les couver. |
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Quel emploi, quel ennui d’étendre ainsi les ailes, |
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De garder la maison, d’y mourir de chaleur ! |
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L’hymen n’est donc pour vous qu’un travail, un malheur ? |
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Se torturer le flanc, s’appauvrir l’existence, |
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Mourir, pour satisfaire à l’importune instance |
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De petits jeunes dévorants, |
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Dont les cris déchirants |
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Troublent et le somme et la veille ! |
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D’en parler seulement je me blesse l’oreille. |
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Ce fanatisme fait pitié ; |
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Toutefois, s’il est temps, écoutez l’amitié. |
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Mon exemple peut vous instruire. |
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Loin de couver, de me détruire, |
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Au hasard je laisse mes œufs : |
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Le ciel veille sur moi, le ciel veille sur eux. |
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Je ne me charge pas de ce soin haïssable. |
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Je suis mère pourtant, je les couvre de sable. |
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Si la pluie et l’orage, et les vents tour à tour, |
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Ne les écrasent pas avant de naître au jour, |
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Si le Milan ne les dévore, |
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La chaleur du soleil enfin les fait éclore ; |
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La nature en prend soin, et tous les éléments |
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Composent mieux que moi leurs premiers aliments. |
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Ils s’envolent alors et vont chercher fortune. |
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Je n’ai pas supporté leur enfance importune. |
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Ce qu’ils deviennent, je ne sais ; |
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Je me porte bien, c’est assez. |
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— Méchante ! ah ! méchante endurcie ! |
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De quel aveuglement ton âme est obscurcie ! |
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Tu n’as donc d’une mère obtenu que le nom ? |
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Va ! tu glaces mon cœur, tu blesses ma raison. |
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Quoi ! te déshériter des larmes d’une mère, |
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De ses tourments délicieux, |
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De ses plaisirs silencieux, |
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Où tout est volupté bien que parfois amère ! |
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Quand je sens mes petits s’agiter sous mon sein, |
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Quand leurs cris me disent : « J’ai faim ! » |
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Oh ! quel bonheur j’éprouve à leur donner ma vie ! |
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Mais ma douce blessure est promptement guérie. |
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On dirait que l’extrême amour |
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Renaît sans cesse de lui-même : |
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On le prodigue en vain, comme le feu du jour, |
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Il se ranime encor pour nourrir ce qu’il aime. |
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Va chercher tes enfants ; tu me remercîras, |
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Si tu peux les trouver et devenir sensible : |
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Ton sort, au milieu d’eux, s’écoulera paisible. |
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Va ! ne crains plus la mort : sois mère, tu vivras ! » |
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