POÉSIES DIVERSES |
L’ÉCOLIER |
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Un tout petit enfant s’en allait à l’école. |
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On avait dit : « Allez !… » Il tâchait d’obéir ; |
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Mais son livre était lourd, il ne pouvait courir. |
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Il pleure, et suit des yeux une Abeille qui vole. |
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« Abeille, lui dit-il, voulez-vous me parler ? |
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Moi, je vais à l’école : il faut apprendre à lire ; |
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Mais le maître est tout noir, et je n’ose pas rire : |
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Voulez-vous rire, abeille, et m’apprendre à voler ? |
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— Non, dit-elle ; j’arrive et je suis très pressée. |
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J’avais froid ; l’Aquilon m’a longtemps oppressée : |
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Enfin, j’ai vu les fleurs, je redescends du ciel, |
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Et je vais commencer mon doux rayon de miel. |
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Voyez ! j’en ai déjà puisé dans quatre roses ; |
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Avant une heure encor nous en aurons d’écloses. |
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Vite, vite à la ruche ! on ne rit pas toujours : |
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C’est pour faire le miel qu’on nous rend les beaux jours. » |
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Elle fuit et se perd sur la route embaumée. |
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Le frais lilas sortait d’un vieux mur entr’ouvert ; |
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Il saluait l’aurore, et l’aurore charmée |
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Se montrait sans nuage et riait de l’hiver. |
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Une Hirondelle passe : elle effleure la joue |
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Du petit nonchalant qui s’attriste et qui joue ; |
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Et dans l’air suspendue, en redoublant sa voix, |
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Fait tressaillir l’écho qui dort au fond des bois. |
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« Oh ! bonjour ! dit l’enfant, qui se souvenait d’elle ; |
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Je t’ai vue à l’automne. Oh ! bonjour, hirondelle ! |
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Viens ! tu portais bonheur à ma maison, et moi |
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Je voudrais du bonheur. Veux-tu m’en donner, toi ? |
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Jouons. — Je le voudrais, répond la voyageuse, |
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Car je respire à peine, et je me sens joyeuse. |
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Mais j’ai beaucoup d’amis qui doutent du printemps ; |
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Ils rêveraient ma mort si je tardais longtemps. |
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Non, je ne puis jouer. Pour finir leur souffrance, |
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J’emporte un brin de mousse en signe d’espérance. |
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Nous allons relever nos palais dégarnis ; |
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L’herbe croit, c’est l’instant des amours et des nids. |
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J’ai tout vu. Maintenant, fidèle messagère, |
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Je vais chercher mes sœurs, là-bas sur le chemin. |
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Ainsi que nous, enfant, la vie est passagère, |
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Il en faut profiter. Je me sauve… À demain ! » |
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L’enfant reste muet ; et, la tête baissée, |
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Rêve et compte ses pas pour tromper son ennui, |
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Quand le livre importun, dont sa main est lassée, |
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Rompt ses fragiles nœuds, et tombe auprès de lui. |
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Un dogue l’observait du seuil de sa demeure ; |
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Stentor, gardien sévère et prudent à la fois, |
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De peur de l’effrayer retient sa grosse voix. |
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Hélas ! peut-on crier contre un enfant qui pleure ? |
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« Bon dogue, voulez-vous que je m’approche un peu ? |
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Dit l’écolier plaintif. Je n’aime pas mon livre ; |
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Voyez ! ma main est rouge, il en est cause. Au jeu |
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Rien ne fatigue, on rit ; et moi je voudrais vivre |
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Sans aller à l’école, où l’on tremble toujours. |
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Je m’en plains tous les soirs, et j’y vais tous les jours. |
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J’en suis très mécontent. Je n’aime aucune affaire. |
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Le sort des chiens me plaît, car ils n’ont rien à faire. |
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— Écolier ! voyez-vous ce laboureur aux champs ? |
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Eh bien ! ce laboureur, dit Stentor, c’est mon maître. |
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Il est très vigilant ; je le suis plus, peut-être. |
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Il dort la nuit, et moi j’écarte les méchants. |
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J’éveille aussi ce bœuf qui, d’un pied lent, mais ferme, |
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Va creuser les sillons quand je garde la ferme. |
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Pour vous-même on travaille ; et, grâce à vos brebis, |
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Votre mère, en chantant, vous file des habits. |
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Par le travail tout plaît, tout s’unit, tout s’arrange. |
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Allez donc à l’école ; allez, mon petit ange ! |
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Les chiens ne lisent pas, mais la chaîne est pour eux : |
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L’ignorance toujours mène à la servitude. |
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L’homme est fin, l’homme est sage, il nous défend l’étude ; |
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Enfant, vous serez homme, et vous serez heureux ; |
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Les chiens vous serviront. » L’enfant l’écouta dire ; |
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Et même il le baisa. Son livre était moins lourd. |
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En quittant le bon dogue, il pense, il marche, il court. |
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L’espoir d’être homme un jour lui ramène un sourire. |
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À l’école, un peu tard, il arrive gaîment, |
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Et dans le mois des fruits il lisait couramment. |
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