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Marceline DESBORDES-VALMORE
POÉSIES
1830
POÉSIES DIVERSES
LE PETIT ARTHUR DE BRETAGNE
À LA TOUR DE ROUEN
Par mon baptême, ô ma mère, 7
Je voudrais être l’enfant 7
Qui bondit sur la bruyère 7
Avec l’agneau qu’il défend. 7
5 J’ai soif de l’eau qui murmure 7
Et fuit là-bas dans les fleurs : 7
L’eau de la tour est moins pure, 7
Je la trouble avec mes pleurs. 7
Si le rayon d’une étoile 7
10 Glisse au fond de ma prison, 7
Les barreaux forment un voile 7
Qui tourmente ma raison. 7
Quand le fer qui se colore 7
M’annonce que le jour luit, 7
15 Le petit Arthur encore 7
Est triste comme la nuit. 7
Pour bercer ma jeune enfance 7
Vous saviez des airs touchants ; 7
Et j’ai reçu la défense 7
20 De me rappeler vos chants ! 7
Mais que la flûte lointaine 7
M’apporte un réveil plus doux, 7
Je tressaille dans ma chaîne ; 7
Ma mère, je pense à vous. 7
25 Ce vieux gardien dont l’œil sombre 7
Un soir me remplit d’effroi, 7
Qui, sur mes pas, comme une ombre, 7
Fit peur au pauvre enfant-roi, 7
J’ai vu son front, moins austère, 7
30 Vers ses enfants se baisser : 7
Hélas ! que n’est-il mon père ! 7
Il daignerait m’embrasser. 7
Lorsque la fièvre brûlante 7
Sur lui fit planer la mort, 7
35 Sa bouche, pâle et tremblante, 7
Dit qu’il avait un remord. 7
De cette affreuse démence 7
Cherchant à le secourir, 7
J’ai chanté votre romance 7
40 Pour l’empêcher de souffrir. 7
Aux sons de la vieille harpe 7
Il s’endormit sur mon sein, 7
Enveloppé de l’écharpe 7
Dont me para votre main. 7
45 Une reine l’a brodée : 7
Mon geôlier la garde encor… 7
Je ne l’ai plus demandée ; 7
Et c’était mon seul trésor. 7
Peut-être ce sacrifice 7
50 En secret l’attendrira 7
Et qu’à vos larmes, propice, 7
Un moment il me rendra. 7
Mes biens, mes jours, ma couronne, 7
Tout ce qu’ils brûlent d’avoir, 7
55 Oh ! ma mère, je le donne ; 7
Mais avant je veux vous voir. 7
Malgré leur veille farouche, 7
J’appris seul à retracer 7
Le premier nom que ma bouche 7
60 Essaya de prononcer. 7
Ne pouvant briser la pierre 7
Où j’ai nommé leur vainqueur, 7
Ils ont brûlé ma paupière ; 7
Mais la mémoire est au cœur. 7
65 En vain leurs bandeaux funèbres 7
Ont puni mes faibles yeux ; 7
À genoux, dans les ténèbres, 7
Ma prière monte aux cieux ; 7
L’épée y dort suspendue ; 7
70 Comme vous en ce séjour, 7
Mon père, on la croit perdue : 7
Mais si je l’atteins un jour !… 7
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