IDYLLES |
LES DEUX BERGÈRES |
Doris
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Que fais-tu, pauvre Hélène, au bord de ce ruisseau ? |
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Hélène
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Je regarde ma vie, en voyant couler l’eau. |
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Son cours languit, Doris, il n’aime plus la rive ; |
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Dans nos champs qu’il arrose il roule quelque ennui. |
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Écoute ! il porte au bois sa musique plaintive ; |
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Et je voudrais au bois me plaindre comme lui. |
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Doris
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De quoi te plaindrais-tu ? |
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Hélène
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De quoi te plaindrais-tu ? Je ne saurais le dire. |
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Ce ruisseau parait calme, et pourtant il soupire. |
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On ne sait trop s’il fuit… s’il cherche… s’il attend… |
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Mais il est malheureux, puisque mon cœur l’entend. |
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Doris
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Tu rêves. Son cristal est pur, vif et limpide ; |
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On le dirait joyeux de caresser des fleurs. |
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Hélène
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Pour moi, j’y reconnais une douleur timide : |
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Souvent dans un sourire on devine des pleurs. |
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Toi qui chantes toujours, tu ne peux le comprendre. |
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Ma voix n’a plus d’essor, et j’ai le temps d’apprendre |
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Qu’un chagrin se révèle en soupirant tout bas : |
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Si je pouvais chanter, je ne l’entendrais pas ! |
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Doris
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S’il parle, il dit au bois que nous sommes jolies, |
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Que s’il a ralenti son cours précipité, |
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C’est qu’il croit voir en toi les grâces recueillies, |
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Et qu’il prend du plaisir à doubler ma beauté. |
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Voilà (je te dis tout) ce qu’un berger m’assure ; |
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Sa parole est sincère, et, pour preuve, il le jure. |
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Hélène
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Il le jure. Ah ! prends garde ! et si tu veux bien voir, |
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Doris, ne choisis pas un flatteur pour miroir. |
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Doris
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Si tu savais son nom, tu serais bien honteuse. |
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Hélène
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Bergère, il est berger ; sa parole est douteuse. |
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Doris
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Il m’a dit qu’au rivage il tracerait un jour, |
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Pour l’orgueil du ruisseau, mon chiffre et son amour. |
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Hélène
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L’amour aime à tracer les serments sur le sable ; |
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Un coup de vent répond de sa fidélité. |
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D’une plume légère il compose une fable ; |
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Ses flèches dans nos cœurs gravent la vérité. |
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Doris
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Oh ! les tristes leçons ! Du ruisseau qui les donne |
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Troublons les flots jaloux ; qu’ils n’affligent personne ! |
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Hélène
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Tu peux troubler ses flots, mais non pas les tarir, |
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Quand les jours sont moins purs, cessent-ils de courir ? |
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La pierre d’un long cercle a ridé sa surface ; |
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Elle tombe, l’eau roule, et le cercle s’efface. |
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Doris
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Ô ma chère compagne ! en est-il des beaux jours |
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Comme de ce tableau ? |
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Hélène
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Comme de ce tableau ? C’est celui des amours. |
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Doris
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Mais par une amoureuse et touchante aventure, |
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Lorsque tu le crois seul, errant et malheureux, |
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Il trouve un filet d’eau caché sous la verdure, |
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Et l’emporte gaîment dans son sein amoureux. |
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Hélène
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Mais il arrive à peine au fond de la vallée. |
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Surpris par le torrent qui l’entraîne à son tour, |
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Il y jette à regret son onde désolée, |
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Et les ruisseaux unis s’y perdent sans retour. |
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Doris
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Eh bien ! je n’irai pas jusqu’au torrent, bergère, |
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Donner à leur destin d’inutiles soupirs ; |
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J’irai me regarder à la source légère |
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Qui se livre, naissante, au souffle des zéphyrs. |
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Sur ses rives de mousse et de roseaux parées, |
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Le soir, je conduirai mes brebis altérées. |
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Ainsi, dans l’eau, qui change au caprice des vents, |
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Tu verras tes ennuis, je verrai mes beaux ans. |
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Hélène
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Oh ! n’abandonne pas nos tranquilles demeures ! |
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Laisse y couler en paix tes innocentes heures ; |
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Ne donne ni tes pas ni tes vœux au hasard ! |
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On se hâte, on s’arrête, on tremble… il est trop tard. |
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Évite le sentier trop voisin de son onde ; |
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Il égare, il conduit loin, bien loin du hameau, |
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Dans une solitude isolée et profonde, |
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Où l’eau, comme des pleurs, coule auprès d’un tombeau. |
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Un cœur tendre s’y cache au jour qu’il semble craindre ; |
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Il n’a que ce ruisseau pour l’entendre et le plaindre ; |
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Peut-être qu’à lui seul il confie un regret… |
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Doris, ne va jamais surprendre son secret ! |
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