LES AVENTURES D’UN PAPILLON ET D’UNE BÊTE à BON DIEU |
Le théâtre représente la campagne. Il est six heures du soir ;
le soleil s’en va. Au lever du rideau, un Papillon bleu et une
jeune Bête à bon Dieu, du sexe mâle, causent à cheval sur un
brin de fougère. Ils se sont rencontrés le matin, et ont passé
la journée ensemble. Comme il est tard, la Bête à bon Dieu fait
mine de se retirer.
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LE PAPILLON. |
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Quoi !… tu t’en vas déjà ?… |
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LA BÊTE À BON DIEU. |
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Quoi !… tu t’en vas déjà ?… Dame ! il faut que je rentre : |
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Il est tard, songez donc ! |
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LE PAPILLON. |
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Il est tard, songez donc ! Attends un peu, que diantre ! |
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Il n’est jamais trop tard pour retourner chez soi… |
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Moi d’abord, je m’ennuie à ma maison, et toi ? |
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C’est si bête une porte, un mur, une croisée. |
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Quand au dehors on a le soleil, la rosée, |
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Et les coquelicots, et le grand air, et tout. |
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Si les coquelicots ne sont pas de ton goût, |
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Il faut le dire… |
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LA BÊTE À BON DIEU. |
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Il faut le dire… Hélas ! monsieur, je les adore. |
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LE PAPILLON. |
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Eh bien ! alors, nigaud, ne t’en vas pas encore ; |
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Reste avec moi. Tu vois, il fait bon ; l’air est doux… |
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LA BÊTE À BON DIEU. |
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Oui, mais… |
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LE PAPILLON, la poussant dans l’herbe. |
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Oui, mais… Eh ! roule-toi dans l’herbe ; elle est à nous. |
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LA BÊTE À BON DIEU, se débattant. |
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Non ! laissez-moi ; parole ! il faut que je m’en aille |
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LE PAPILLON. |
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Chut ! entends-tu ? |
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la bête à bon dieu, effrayée. |
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Chut ! entends-tu ? Quoi donc ? |
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LE PAPILLON. |
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Chut ! entends-tu ? Quoi donc ? Cette petite caille |
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Qui chante en se grisant dans la vigne à côté… |
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Hein ! la bonne chanson pour ce beau soir d’été, |
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Et comme c’est joli de la place où nous sommes ! |
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LA BÊTE À BON DIEU. |
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Sans doute, mais… |
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LE PAPILLON. |
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Sans doute, mais… Tais-toi. |
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LA BÊTE À BON DIEU. |
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Sans doute, mais… Tais-toi. Quoi donc ? |
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LE PAPILLON. |
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Sans doute, mais… Tais-toi. Quoi donc ? Voilà des hommes, |
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(Passent des hommes.) |
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LA BÊTE À BON DIEU, après un silence. |
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L’homme, c’est très méchant, n’est-ce pas ? |
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LE PAPILLON. |
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L’homme, c’est très méchant, n’est-ce pas ? Très méchant. |
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LA BÊTE À BON DIEU. |
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J’ai toujours peur qu’un d’eux m’aplatisse en marchant ; |
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Ils ont de si gros pieds et moi des reins si frêles ! |
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Vous, vous n’êtes pas grand, mais vous avez des ailes ; |
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C’est énorme ! |
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LE PAPILLON. |
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C’est énorme ! Pardieu ! mon cher, si ces lourdauds |
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De paysans te font peur, grimpe-moi sur le dos ; |
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Je suis très fort des reins, moi ; je n’ai pas des ailes |
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En pelure d’oignon comme les demoiselles, |
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Et je peux te porter où tu voudras, aussi |
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Longtemps que tu voudras. |
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LA BÊTE À BON DIEU. |
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Longtemps que tu voudras. Oh ! non, monsieur, merci. |
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Je n’oserai jamais… |
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LE PAPILLON. |
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Je n’oserai jamais… C’est donc bien difficile |
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De grimper là ? |
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LA BÊTE À BON DIEU. |
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De grimper là ? Non ! mais… |
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LE PAPILLON. |
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De grimper là ? Non ! mais… Grimpe donc, imbécile ! |
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LA BÊTE À BON DIEU. |
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Vous me ramènerez chez moi, bien entendu ; |
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Car, sans cela… |
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LE PAPILLON. |
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Car, sans cela… Sitôt parti, sitôt rendu. |
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LA BÊTE À BON DIEU, grimpant sur son camarade. |
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C’est que le soir, chez nous, nous faisons la prière. |
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Vous comprenez ? |
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LE PAPILLON. |
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Vous comprenez ? Sans doute… Un peu plus en arrière ! |
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Là… maintenant j’ai tout lâché ! silence à bord. |
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(Prrt ! Ils s’envolent ; le dialogue continue en l’air.) |
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Jamais je n’aurais cru que j’étais aussi fort. |
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LA BÊTE À BON DIEU, effrayée. |
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Ah ! monsieur… |
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LE PAPILLON. |
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Ah ! monsieur… Eh bien ! quoi ? |
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LA BÊTE À BON DIEU. |
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Ah ! monsieur… Eh bien ! quoi ? Je n’y vois plus… la tête |
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Me tourne ; je voudrais bien descendre… |
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LE PAPILLON. |
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Me tourne ; je voudrais bien descendre… Es-tu bête ! |
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Si la tête te tourne, il faut fermer les yeux. |
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Les as-tu fermés ? |
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LA BÊTE À BON DIEU, fermant les yeux. |
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Les as-tu fermés ? Oui… |
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LE PAPILLON. |
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Les as-tu fermés ? Oui… Ça va mieux ? |
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LA BÊTE À BON DIEU, avec effort. |
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Les as-tu fermés ? Oui… Ça va mieux ? Un peu mieux. |
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LA BÊTE À BON DIEU, riant sous cape. |
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Décidément, on est mauvais aéronaute |
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Dans ta famille… |
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LA BÊTE À BON DIEU. |
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Dans ta famille… Oh ! oui… |
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LE PAPILLON. |
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Dans ta famille… Oh ! oui… Ce n’est pas votre faute |
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Si le guide-ballon n’est pas encor trouvé. |
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LA BÊTE À BON DIEU. |
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Oh ! non… |
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LE PAPILLON. |
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Oh ! non… Çà, monseigneur, vous êtes arrivé |
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(Il se pose sur un Muguet.) |
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LA BÊTE À BON DIEU, ouvrant les yeux. |
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Pardon, mais ce n’est pas ici que je demeure. |
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LE PAPILLON. |
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Je sais ; mais comme il est encor de très bonne heure, |
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Je t’ai mené chez un Muguet de mes amis. |
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On va se rafraîchir le bec ; — c’est bien permis… |
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LA BÊTE À BON DIEU. |
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Oh ! je n’ai pas le temps… |
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LE PAPILLON. |
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Oh ! je n’ai pas le temps… Bah ! rien qu’une seconde… |
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LA BÊTE À BON DIEU. |
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Et puis, je ne suis pas reçu, moi, dans le monde.-- |
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LE PAPILLON. |
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Viens donc ! je te ferai passer pour mon bâtard ; |
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Tu seras bien reçu, va !… |
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LA BÊTE À BON DIEU. |
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Tu seras bien reçu, va !… Puis, c’est qu’il est tard |
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LE PAPILLON. |
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Eh non ! il n’est pas tard ; écoute la Cigale… |
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LA BÊTE À BON DIEU, à voix basse. |
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Puis… je… n’ai pas d’argent… |
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LE PAPILLON, l’entraînant. |
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Puis… je… n’ai pas d’argent… Viens ! le Muguet régale. |
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(Ils entrent chez le Muguet. — La toile tombe.) |
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Au second acte, quand le rideau se lève, il fait presque nuit…
On voit les deux camarades sortir de chez le Muguet… La Bête
à bon Dieu est légèrement ivre.
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LE PAPILLON, tendant le dos |
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Et maintenant, en route ! |
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(Prrt ! Ils s’envolent… Le dialogue continue en l’air.) |
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LA BÊTE À BON DIEU, grimpant bravement. |
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Et maintenant, en route ! En route ! |
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LE PAPILLON. |
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Et maintenant, en route ! En route ! Eh bien ! comment |
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Trouves-tu mon Muguet ? |
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LA BÊTE À BON DIEU. |
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Trouves-tu mon Muguet ? Mon cher, il est charmant ; |
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Il vous livre sa cave et tout, sans vous connaître… |
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LE PAPILLON, regardant le ciel. |
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Oh ! oh ! Phœbé qui met le nez à la fenêtre ; |
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Il faut nous dépêcher… |
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LA BÊTE À BON DIEU. |
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Il faut nous dépêcher… Nous dépêcher, pourquoi ? |
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LE PAPILLON. |
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Tu n’es donc plus pressé de retourner chez toi ? |
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LA BÊTE À BON DIEU. |
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Oh ! pourvu que j’arrive à temps pour la prière… |
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D’ailleurs, ce n’est pas loin, chez nous… c’est là derrière |
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LE PAPILLON. |
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Si tu n’es pas pressé, je ne le suis pas, moi. |
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LA BÊTE À BON DIEU, avec effusion. |
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Quel bon enfant tu fais !… Vrai ! je ne sais pourquoi |
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Tout le monde n’est pas ton ami sur la terre. |
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On dit de toi : « C’est un bohême ! un réfractaire ! |
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Un poète ! un sauteur !… » |
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LE PAPILLON. |
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Un poète ! un sauteur !… » Tiens ! tiens ! et qui dit ça ? |
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LA BÊTE À BON DIEU. |
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Mon Dieu ! le Scarabée… |
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LE PAPILLON. |
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Mon Dieu ! le Scarabée… Ah ! oui, ce gros poussah ! |
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Il m’appelle sauteur, parce qu’il a du ventre. |
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LA BÊTE À BON DIEU. |
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C’est qu’il n’est pas le seul qui te déteste… |
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LE PAPILLON. |
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C’est qu’il n’est pas le seul qui te déteste… Ah ! diantre ! |
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LA BÊTE À BON DIEU. |
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Ainsi les Escargots ne sont pas tes amis. |
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Va ! ni les Scorpions, pas même les Fourmis. |
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la BÊTE À BON DIEU, confidentiellement. |
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Vraiment ! Ne fais jamais la cour à l’Araignée ; |
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Elle te trouve affreux. |
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LE PAPILLON. |
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Elle te trouve affreux. On l’a mal renseignée, |
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LA BÊTE À BON DIEU. |
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Hé ! les Chenilles sont un peu de son avis… |
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LE PAPILLON. |
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Je crois bien !… mais, dis-moi, dans le monde où tu vis, |
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Car enfin tu n’es pas du monde des Chenilles. |
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Suis-je aussi mal vu ?… |
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LA BÊTE À BON DIEU. |
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Suis-je aussi mal vu ?… Dam ! c’est selon les familles ; |
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La jeunesse est pour toi. Les vieux, en général, |
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Trouvent que lu n’as pas assez de sens moral. |
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LE PAPILLON, tristement. |
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le vois que je n’ai pas beaucoup de sympathies, |
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En somme… |
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LA BÊTE À BON DIEU. |
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En somme… Ma foi ! non, mon pauvre. Les Orties |
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T’en veulent. Le Crapaud te hait ; jusqu’au Grillon, |
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Quand il parle de toi, qui dit : « Ce… p… p… Papillon ! » |
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LE PAPILLON. |
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Est-ce que tu me hais, toi, comme tous ces drôles ? |
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LA BÊTE À BON DIEU. |
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Moi !… je t’adore ; on est si bien sur tes épaules ! |
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Et puis tu me conduis toujours chez les Muguets, |
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C’est amusant !… Dis donc, si je te fatiguais, |
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Nous pourrions faire encore une petite pause |
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Quelque part… tu n’es pas fatigué, je suppose ? |
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LE PAPILLON. |
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Je te trouve un peu lourd, ce n’est pas l’embarras. |
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LA BÊTE À BON DIEU, montrant des Muguets. |
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Alors, entrons ici ; tu te reposeras. |
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LE PAPILLON. |
|
Ah ! merci ! des Muguets ! toujours la même chose. |
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(Bas, d’un ton libertin.) |
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J’aime bien mieux entrer à côté… |
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LA BÊTE À BON DIEU, toute rouge. |
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J’aime bien mieux entrer à côté… Chez la Rose ?… |
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Oh ! non, jamais… |
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LE PAPILLON, l’entraînant. |
95 |
Oh ! non, jamais… Viens donc ! on ne nous verra pas. |
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(Ils entrent discrètement chez la Rose. — La toile tombe.) |
Au troisième acte, il est nuit tout à fait… Les deux camarades sortent ensemble de
chez la Rose… Le Papillon veut ramener la Bête à bon Dieu chez ses parents, mais
celle-ci s’y refuse ; elle est complètement ivre, fait des cabrioles sur l’herbe et
pousse des cris séditieux… Le Papillon est obligé de l’emporter chez elle. On se
sépare sur la porte en se promettant de se revoir bientôt… Et alors le Papillon
s’en va tout seul, dans la nuit. Il est un peu ivre, lui aussi ; mais son ivresse
est triste : il se rappelle les confidences de la Bête à bon Dieu, et se demande
amèrement pourquoi tant de monde le déteste, lui qui jamais n’a fait de mal à
personne… Ciel sans lune ! Le vent souffle, la campagne est toute noire… Le Papillon
a peur, il a froid ; mais il se console en songeant que son camarade est en sûreté,
au fond d’une couchette bien chaude… Cependant on entrevoit dans l’ombre de grands
oiseaux de nuit qui traversent la scène d’un vol silencieux. L’éclair brille ! Des
bètes méchantes, embusquées sous des pierres, ricanent en se montrant le Papillon :
« Nous le tenons ! » disent-elles ; et tandis que l’infortuné va de droite et de
gauche, plein d’efTroi, un Chardon au passage le larde d’un grand coup d’épée, un
Scorpion l’éventre avec ses pinces, une grosse Araignée velue lui arrache un pan
de son manteau de satin bleu, et, pour finir, une Chauve-Souris lui casse les reins
d’un coup d’aile. Le Papillon tombe blessé à mort… Tandis qu’il râle sur l’herbe,
les Orties se réjouissent et les Crapauds disent : « C’est bien fait ! »
À l’aube, les Fourmis, qui vont au travail avec leurs saquettes et leurs gourdes,
trouvent le cadavre au bord du chemin. Elles le regardent à peine et s’éloignent
sans vouloir l’enterrer. Les Fourmis ne travaillent pas pour rien… Heureusement,
une confrérie de Nécrophores vient à passer par là. Ce sont, comme vous savez, de
petites bêtes noires qui ont fait vœu d’ensevelir les morts. Pieusement, elles
s’attellent au Papillon défunt et le traînent vers le cimetière… Une foule curieuse
se presse sur leur passage et chacun fait des réflexions à haute voix… Les petits
Grillons bruns, assis au soleil devant leurs portes, disent gravement : « Il aimait
trop les fleurs ! » — « Il courait trop la nuit ! » ajoutent les Escargots, et les
Scarabées à gros ventre se dandinent dans leurs habits d’or en grommelant : « Trop
bohême ! trop bohême ! » Parmi toute cette foule, pas un mot de regret pour le pauvre
mort ; seulement, dans les plaines d’alentour, les grands Lis ont fermé et les Cigales
ne chantent pas.
La dernière scène se passe dans le cimetière des Papillons. Après que les Nécrophores
ont fait leur œuvre, un Hanneton solennel, qui a suivi le convoi, s’approche de la fosse,
et, se mettant sur le dos, commence l’éloge du défunt. Malheureusement, la mémoire lui
manque ; il reste là les pattes en l’air, gesticulant pendant une heure, et s’entortillant
dans ses périodes… Quand l’orateur a fini, chacun se retire, et alors, dans le cimetière
désert, on voit la Bête à bon Dieu des premières scènes sortir de derrière une tombe.
Tout en larmes, elle s’agenouille sur la terre fraîche de la fosse et dit une prière
touchante pour son pauvre petit camarade qui est là !…
fin des aventures d’un papillon.
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