Métrique en Ligne
DAU_1/DAU16
Alphonse DAUDET
LES AMOUREUSES
POEMES ET FANTAISIES
1858
LES AMOUREUSES
LE ROUGE-GORGE
I
Un soir que je rêvais dans ma chambre, déserte 12
Depuis sa mort, 4
Un oisillon s’en vint de la fenêtre ouverte 12
Raser le bord. 4
5 Il s’en vint, secouant du bec sa robe grise ; 12
Et sans effroi, 4
Sans façon, je le vis, à ma grande surprise, 12
Entrer chez moi. 4
C’était un rouge-gorge, un charmant rouge-gorge ! 12
10 Comme à foison, 4
Le froid, ce vieux brigand des forêts, en égorge 12
Chaque saison. 4
« Tu viens mal à propos, lui dis-je, mais n’importe, 12
Cher étranger, 4
15 Je souffre trop pour voir souffrir. Tiens, je t’apporte 12
De quoi manger. 4
« Aimes-tu le maïs ?…Non. Préfères-tu l’orge 12
Ou bien le mil ? 4
Que peut-on vous servir, monsieur le rouge-gorge, 12
20 Que vous faut-il ? » 4
Mais lui, de tous côtés promenant son bec rose 12
D’un air coquet, 4
Souriait sans répondre et cherchait quelque chose 12
Qui lui manquait : 4
25 Puis, comme il me trouvait par trop mélancolique, 12
Le polisson 4
Se mit à fredonner un morceau de musique 12
De sa façon. 4
II
Je me levais pour mettre un terme à ce scandale 12
30 En le chassant, 4
Quand le frisson de mort qui régnait dans la salle 12
L’envahissant, 4
L’oiseau tourna vers moi sa mine effarouchée, 12
Et l’animal 4
35 Me regarda d’un air de tristesse fâchée, 12
Qui me fit mal. 4
« Oh ! ne te moque pas de moi ! semblaient me dire 12
Ses yeux en pleurs ; 4
N’est-ce pas que tu mens, et que tu voulais rire 12
40 De mes douleurs ? 4
« Non elle n’est pas morte ! ou, toi, tu n’es qu’un lâche 12
De la savoir 4
Et d’y survivre !…Non ! elle est là…qui se cache, 12
Je veux la voir. » 4
45 Et pour mieux s’assurer qu’elle n’était pas morte, 12
Il s’en alla 4
Fouiller sous la toilette et derrière la porte, 12
Deçà, delà, 4
Derrière les rideaux du lit, dans la ruelle, 12
50 Sous l’édredon… 4
Il criait, il pleurait : « Ah ! méchante, ah ! cruelle, 12
Réponds-moi donc !… » 4
Il grimpait sur le lit, fripant la couverture 12
Et l’oreiller. 4
55 Enfin, pris d’un vertige étrange, de nature 12
A m’effrayer, 4
Il se mit à voler les ailes étendues, 12
L’œil effaré, 4
Cognant son front, poussant des plaintes éperdues, 12
60 Désespéré. 4
III
Quand il eut fait deux fois le tour de notre chambre, 12
L’étrange oiseau 4
S’arrêta : je le vis trembler de chaque membre, 12
Comme un roseau, 4
65 Chercher de tous côtés un lieu de préférence 12
Pour s’y coucher ; 4
Se laisser choir, avec un grand air de souffrance, 12
Sur le plancher ; 4
Et là, dardant sur moi le feu de ses prunelles 12
70 D’un jaune d’or, 4
Pousser des petits cris plaintifs, battre des ailes, 12
Et rester mort ! 4
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