Métrique en Ligne
CRO_2/CRO142
Charles CROS
LE COLLIER DE GRIFFES
1908
FANTAISIES TRAGIQUES
Réconciliation
J'ai fui par un soir monotone, 8
Pardonne-moi ! — Je te pardonne, 8
Mais ne me parle de personne. 8
— Il m'a trompée avec sa voix, 8
5 Il m'a menée au fond des bois ; 8
Mais aujourd'hui, je te revois. 8
— Ne parle de personne, chère ! 8
Respirons la brise légère 8
Et l'oubli de toute chimère. 8
10 — Oui, l'oubli ! tu dis vrai. Le jour 8
Finit rose pour mon retour ; 8
Je te dois cette nuit d'amour. 8
— La nuit d'amour est toute prête ; 8
Nous avons du vin pour la fête 8
15 Et la folie est dans ma tête. 8
— Ta chambre est chaude comme avant 8
Et l'on entend le bruit du vent 8
Qui nous endormait en rêvant. 8
— Tu me parais encor plus belle ; 8
20 Plus fièrement ta chair rebelle 8
Gonfle ton corsage en dentelle. 8
— Tu deviens pâle, mon ami ! 8
Viens dans le lit ; noyons parmi 8
Nos baisers ton cœur endormi. 8
25 — Mais j'ai perdu mon cœur en route ; 8
Mon sang est tombé goutte à goutte 8
Et ma chair triste s'est dissoute. 8
— Hélas ! à chaque vêtement 8
Que tu quittes, mon doux amant, 8
30 Je vois tes os gris seulement. 8
— Pouvais-je te laisser seulette 8
Au lit ? Voici la nuit complète. 8
— Oh ! Va-t'en loin de moi, squelette ! 8
— C'est que, vois-tu, j'ai bien souffert, 8
35 J'étais comme un héros de fer. 8
Hors de tes bras c'était l'enfer. 8
— Va-t'en ! Oh ! tout mon corps frissonne ! 8
Ne me parle plus de personne. 8
— Entends comme mon crâne sonne. 8
40 Tu l'as vidé par tes péchés ; 8
Mes os sont bien mal attachés, 8
Nous serons mieux étant couchés. 8
J'égrène toutes mes vertèbres 8
Et toi, blanche dans les ténèbres, 8
45 Tu meurs de mes baisers funèbres. 8
Tes regards furent imprudents ; 8
Tu meurs de mes baisers ardents 8
Sans lèvres autour de mes dents. 8
Te voilà morte, blanche et rose, 8
50 J'ai souffert : ma souffrance est close ; 8
Tout martyr enfin se repose… 8
logo du CRISCO logo de l'université