Métrique en Ligne
CRO_2/CRO121
Charles CROS
LE COLLIER DE GRIFFES
1908
VISIONS
Vision
À Puvis de Chavannes.
I
Au matin, bien reposée, 7
Tu fuis, rieuse, et tu cueilles 7
Les muguets blancs, dont les feuilles 7
Ont des perles de rosée. 7
5 Les vertes pousses des chênes 7
Dans ta blonde chevelure 7
Empêchent ta libre allure 7
Vers les clairières prochaines. 7
Mais tu romps, faisant la moue, 7
10 L'audace de chaque branche 7
Qu'attiraient ta nuque blanche 7
Et les roses de ta joue. 7
Ta robe est prise à cet arbre, 7
Et les griffes de la haie 7
15 Tracent parfois une raie 7
Rouge, sur ton cou de marbre. 7
II
Laisse déchirer tes voiles. 7
Qui es-tu, fraîche fillette, 7
Dont le regard clair reflète 7
20 Le soleil et les étoiles ? 7
Maintenant te voilà nue. 7
Et tu vas, rieuse encore, 7
Vers l'endroit d'où vient l'aurore ; 7
Et toi, d'où es-tu venue ? 7
25 Mais tu ralentis ta course 7
Songeuse et flairant la brise. 7
Délicieuse surprise, 7
Entends le bruit de la source. 7
Alors frissonnante, heureuse 7
30 En te suspendant aux saules, 7
Tu glisses jusqu'aux épaules, 7
Dans l'eau caressante et creuse. 7
Là-bas, quelle fleur superbe ! 7
On dirait comme un lys double ; 7
35 Mais l'eau, tout autour est trouble 7
Pleine de joncs mous et d'herbe. 7
III
Je t'ai suivie en satyre, 7
Et caché, je te regarde, 7
Blanche, dans l'eau babillarde ; 7
40 Mais ce nénuphar t'attire. 7
Tu prends ce faux lys, ce traître. 7
Et les joncs t'ont enlacée. 7
Oh ! mon cœur et ma pensée 7
Avec toi vont disparaître ! 7
45 Les roseaux, l'herbe, la boue 7
M'arrêtent contre la rive. 7
Faut-il que je te survive 7
Sans avoir baisé ta joue ? 7
Alors, s'il faut que tu meures, 7
50 Dis-moi comment tu t'appelles, 7
Belle, plus que toutes belles ! 7
Ton nom remplira mes heures. 7
« Ami, je suis l'Espérance. 7
Mes bras sur mon sein se glacent. » 7
55 Et les grenouilles coassent 7
Dans l'étang d'indifférence. 7
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