GENS DE MER |
LE DOUANIER |
ÉLÉGIE DE CORPS-DE-GARDE À LA MÉMOIRE DES DOUANIERS GARDES-CÔTES MIS À LA RETRAITE LE 30 NOVEMBRE 1869 |
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Quoi, l'on te tend l'oreille ! est-il vrai qu'on te rogne, |
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Douanier ?… Tu vas mourir et pourrir sans façon, |
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Gablou ?… — Non ! car je vais rempailler — Qui qu'en grogne ! — |
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Mais, sans te déflorer : avec une chanson ; |
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Et te coller ici, boucané de mes rimes, |
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Comme les varechs secs des herbiers maritimes. |
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— Ange gardien culotté par les brises, |
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Pénate des falaises grises, |
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Vieux oiseau salé du bon Dieu |
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Qui flânes dans la tempête, |
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Sans auréole à ta tête, |
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Sans aile à ton habit bleu !… |
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Je t'aime, modeste amphibie |
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Et ta bonne trogne d'amour, |
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Anémone de mer fourbie |
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épanouie à mon bonjour !… |
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Et j'aime ton bonjour, brave homme, |
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Roucoulé dans ton estomac, |
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Tout gargarisé de rogomme |
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Et tanné de jus de tabac ! |
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J'aime ton petit corps de garde |
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Haut perché comme un goéland |
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Qui regarde |
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Dans les quatre aires-de-vent. |
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Là, rat de mer solitaire, |
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Bien loin du contrebandier |
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Tu rumines ta chimère : |
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— Les galons de brigadier ! — |
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Puis un petit coup-de-blague |
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Doux comme un demi-sommeil… |
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Et puis : bâiller à la vague, |
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Philosopher au soleil… |
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La nuit, quand fait la rafale |
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La chair-de-poule au flot pâle, |
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Hululant dans le roc noir… |
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Se promène une ombre errante ; |
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Soudain : une pipe ardente |
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Rutile… — Ah ! douanier, bonsoir. |
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— Tout se trouvait en toi, bonne femme cynique : |
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Brantôme, Anacréon, Barème et le Portique ; |
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Homère-troubadour, vieille Muse qui chique ! |
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Poète trop senti pour être poétique !… |
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— Tout : sorcier, sage-femme et briquet phosphorique, |
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Rose-des-vents, sacré gui, lierre bacchique, |
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Thermomètre à l'alcool, coucou droit à musique, |
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Oracle, écho, docteur, almanach, empirique, |
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Curé voltairien, huître politique… |
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— Sphinx d'assiette d'un sou, ton douanier souvenir |
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Lisait le bordereau même de l'avenir ! |
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— Tu connaissais Phœbé, Phœbus, et les marées… |
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Les amarres d'amour sur les grèves ancrées |
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Sous le vent des rochers ; et tout amant fraudeur |
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Sous ta coupe passait le colis de son cœur… |
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— Tu reniflais le temps, quinze jours à l'avance, |
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Et les noces : neuf mois … et l'état de la France ; |
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Tu savais tous les noms, les cancans d'alentour, |
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Et de terre et de mer, et de nuit et de jour !… |
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Je te disais ce que je savais écrire… |
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Et nous nous comprenions — tu ne savais pas lire — |
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Mais ta philosophie était un puits profond |
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Où j'aimais à cracher, rêveur … pour faire un rond. |
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Un jour — ce fut ton jour ! — Je te vis redoutable : |
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Sous ton bras fiévreux cahotait la table |
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Où nageait, épars, du papier timbré ; |
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La plume crachait dans tes mains alertes |
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Et sur ton front noir, tes lunettes vertes |
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Sillonnaient d'éclairs ton nez cabré… |
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— Contre deux rasoirs d'Albion perfide, |
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Nous verbalisions ! tu verbalisais ! |
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« Plus les deux susdits … dont un baril vide… » |
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J'avais composé, tu repolissais… |
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— Comme un songe passés, douanier, ces jours de fête ! |
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Fais valoir maintenant tes droits à la retraite… |
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— Brigadier, brigadier, vous n'aurez plus raison !… |
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— Plus de longue journée à gratter l'horizon, |
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Plus de sieste au soleil, plus de pipe à la lune, |
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Plus de nuit à l'affût des lapins sur la dune… |
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Plus rien, quoi !… que la goutte et le ressouvenir… |
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— Ah ! pourtant : tout : cela c'est bien vieux pour finir ! |
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— Va, lézard démodé ! Faut passer, mon vieux type ; |
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Il faut te voir t'éteindre et s'éteindre ta pipe… |
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Passer, ta pipe et toi, parmi les vieux culots : |
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L'administration meurt, faute de ballots !… |
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Telle que, sans rosée, une sombre pervenche |
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Se replie, en closant sa corolle qui penche… |
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Telle, sans contrebande, on voit se replier |
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La capote gris-bleu, corolle du douanier !… |
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Quel sera désormais le terme du problème : |
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— L'ennui contemplatif divisé par lui-même ? — |
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Quel balancier rêveur fera donc les cent pas, |
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Poète, sans savoir qu'il ne s'en doute pas… |
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Qui ? sinon le douanier. — Hélas, qu'on me le rende ! |
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Dussé-je pour cela faire la contrebande… |
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— Non : fini !… réformé ! Va, l'oreille fendue, |
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Rendre au gouvernement ta pauvre âme rendue… |
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Rends ton gabion, rends tes Procès-verbaux divers ; |
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Rends ton bancal, rends tout, rends ta chique !… |
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Rends ton bancal, rends tout, rends ta chique !… Et mes vers. |
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Roscoff — Novembre.
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