Métrique en Ligne
CRB_1/CRB89
Tristan CORBIÈRE
LES AMOURS JAUNES
1873
GENS DE MER
AU VIEUX ROSCOFF
Berceuse en Nord-Ouest mineur
Trou de flibustiers, vieux nid 8
A corsaires ! — dans la tourmente, 8
Dors ton bon somme de granit 8
Sur tes caves que le flot hante… 8
5 Ronfle à la mer, ronfle à la brise ; 8
Ta corne dans la brume grise, 8
Ton pied marin dans les brisans… 8
— Dors : tu peux fermer ton œil borgne 8
Ouvert sur le large, et qui lorgne 8
10 Les Anglais, depuis trois cents ans. 8
— Dors, vieille coque bien ancrée ; 8
Les margats et les cormorans 8
Tes grands poètes d'ouragans 8
Viendront chanter à la marée… 8
15 — Dors, vieille fille-à-matelots ; 8
Plus ne te soûleront ces flots 8
Qui te faisaient une ceinture 8
Dorée, aux nuits rouges de vin, 8
De sang, de feu ! — Dors… Sur ton sein 8
20 L'or ne tondra plus en friture. 8
— Où sont les noms de tes amants… 8
— La mer et la gloire étaient folles ! — 8
Noms de lascars ! noms de géants ! 8
Crachés des gueules d'espingoles… 8
25 Où battaient-ils, ces pavillons, 8
écharpant ton ciel en haillons !… 8
— Dors au ciel de plomb sur tes dunes… 8
Dors : plus ne viendront ricocher 8
Les boulets morts, sur ton clocher 8
30 Criblé — comme un prunier — de prunes… 8
— Dors : sous les noires cheminées, 8
écoute rêver tes enfants, 8
Mousses du quatre-vingt-dix ans, 8
épaves des belles années… 8
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
35 Il dort ton bon canon de fer, 8
A plat-ventre aussi dans sa souille, 8
Grêlé par les lunes d'hyver… 8
Il dort son lourd sommeil de rouille. 8
— Va : ronfle au vent, vieux ronfleur, 8
40 Tiens toujours ta gueule enragée 8
Braquée à l'Anglais !… et chargée 8
De maigre jonc-marin en fleur. 8
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