Métrique en Ligne
COR_1/COR95
Pierre CORNEILLE
Imitation De Jésus-Christ
1656
LIVRE TROISIÈME
CHAPITRE XXVI
Des excellences de l'âme libre.
Seigneur, qu'il faut être parfait 8
Pour tenir vers le ciel l'âme toujours tendue. 12
Sans jamais relâcher la vue 8
Vers ce que sur la terre on fait ! 8
5 À travers tant de soins cuisants 8
Passer comme sans soin, non ainsi qu'un stupide 12
Que son esprit morne et languide 8
Assoupit sous les plus pesants ; 8
Mais par la digne fermeté 8
10 D'une âme toute pure et toute inébranlable, 12
Par un privilége admirable 8
De son entière liberté, 8
Détacher son affection 8
De tout ce qu'ici-bas un cœur mondain adore : 12
15 Seigneur, j'ose le dire encore, 8
Qu'il y faut de perfection ! 8
Ô Dieu tout bon, Dieu tout-puissant, 8
Défends-moi des soucis où cette vie engage, 12
Qu'ils n'enveloppent mon courage 8
20 D'un amas trop embarrassant. 8
Sauve-moi des nécessités 8
Dont le soutien du corps m'importune sans cesse, 12
Que leur surprise ou leur mollesse 8
Ne donne entrée aux voluptés. 8
25 Enfin délivre-moi, seigneur, 8
De tout ce qui peut faire un obstacle à mon âme, 12
Et changer sa plus vive flamme 8
En quelque mourante langueur. 8
Ne m'affranchis pas seulement 8
30 Des folles passions dont la terre est si pleine, 12
Et que la vanité mondaine 8
Suit avec tant d'empressement ; 8
Mais de tous ces petits malheurs 8
Dont répand à toute heure une foule importune 12
35 La malédiction commune 8
Pour peine sur tous les pécheurs ; 8
De tout ce qui peut retarder 8
La liberté d'esprit où ta bonté m'exhorte, 12
Et semble lui fermer la porte, 8
40 Quand tu veux bien me l'accorder. 8
Ineffable et pleine douceur, 8
Daigne, ô mon Dieu, pour moi changer en amertume 12
Tout ce que le monde présume 8
Couler de plus doux dans mon cœur. 8
45 Bannis ces consolations 8
Qui peuvent émousser le goût des éternelles, 12
Et livrer mes sens infidèles 8
À leurs folles impressions. 8
Bannis tout ce qui fait chérir 8
50 L'ombre d'un bien présent sous un attrait sensible, 12
Et dont le piége imperceptible 8
Nous met en état de périr. 8
Fais, seigneur, avorter en moi 8
De la chair et du sang les dangereux intrigues ; 12
55 Fais que leurs ruses ni leurs ligues 8
Ne me fassent jamais la loi ; 8
Fais que cet éclat d'un moment 8
Dont le monde éblouit quiconque ose le croire, 12
Cette brillante et fausse gloire, 8
60 Ne me déçoive aucunement. 8
Quoi que le diable ose inventer 8
Pour ouvrir sous mes pas un mortel précipice, 12
Fais que sa plus noire malice 8
N'ait point de quoi me supplanter. 8
65 Pour combattre et pour souffrir tout, 8
Donne-moi de la force et de la patience : 12
Donne à mon cœur une constance 8
Qui persévère jusqu'au bout. 8
Fais que j'en puisse voir proscrit 8
70 Le goût de ces douceurs où le monde préside : 12
Fais qu'il laisse la place vide 8
À l'onction de ton esprit. 8
Au lieu de cet amour charnel 8
Dont l'impure chaleur souille ce qu'elle enflamme, 12
75 Fais couler au fond de mon âme 8
Celui de ton nom éternel. 8
Boire, et manger, et se vêtir, 8
Sont d'étranges fardeaux qu'impose la nature : 12
Oh ! Qu'un esprit fervent endure 8
80 Quand il s'y faut assujettir ! 8
Fais-m'en user si sobrement 8
Pour réparer un corps où l'âme est enfermée, 12
Qu'elle ne soit point trop charmée 8
De ce qu'ils ont d'alléchement. 8
85 Leur bon usage est un effet 8
Que le propre soutien a rendu nécessaire, 12
Et ce corps qu'il faut satisfaire 8
N'y peut renoncer tout à fait ; 8
Mais de cette nécessité 8
90 Aller au superflu, passer jusqu'aux délices, 12
Et par de lâches artifices 8
Y chercher sa félicité : 8
C'est ce que nous défend ta loi, 8
De peur que de la chair l'insolence rebelle 12
95 À son tour ne range sous elle 8
L'esprit qui doit être son roi. 8
Entre ces deux extrémités, 8
De leur juste milieu daigne si bien m'instruire, 12
Que les excès qui peuvent nuire 8
100 Soient de part et d'autre évités. 8
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