Métrique en Ligne
COR_1/COR82
Pierre CORNEILLE
Imitation De Jésus-Christ
1656
LIVRE TROISIÈME
CHAPITRE XIII
De l'obéissance de l'humble sujet, à l'exemple
de Jésus-Christ.
Quiconque se dérobe à l'humble obéissance 12
Bannit ma grâce en même temps, 8
Et se livre lui-même à toute l'impuissance 12
De ses desirs vains et flottants. 8
5 Ces dévots indiscrets dont le zèle incommode, 12
Pour les rendre saints à leur mode, 8
Leur forme une conduite et fait des lois à part, 12
Au lieu de s'avancer par un secret mérite, 12
Perdent ce qu'en commun dans la règle on profite, 12
10 À force de vivre à l'écart. 8
Qui n'obéit qu'à peine, et dans l'âme s'attriste 12
Des ordres d'un supérieur, 8
Fait bien voir que sa chair à son tour lui résiste 12
Par un murmure intérieur ; 8
15 Qu'il est mal obéi par cette vaine esclave, 12
Qui se révolte, qui le brave, 8
Et n'est jamais d'accord de ce qu'il lui prescrit : 12
Obéis donc toi-même, et tôt et sans murmure, 12
Si tu veux que ta chair à ton exemple endure 12
20 Le frein que lui doit ton esprit. 8
Des assauts du dehors une âme tourmentée 12
Triomphe tôt des plus ardents, 8
Quand la rébellion de la chair mal domptée 12
Ne ravage point le dedans ; 8
25 Mais ils trouvent souvent de leur intelligence 12
L'amour-propre et la négligence, 8
Qui leur font de toi-même un renfort contre toi ; 12
Et cette âme n'a point d'ennemi plus à craindre 12
Que cette même chair, quand elle ose se plaindre 12
30 De l'esprit qui lui fait la loi. 8
Prends donc, prends pour toi-même un mépris véritable 12
Qui te réduise au dernier rang, 8
Si tu veux mettre à bas ce pouvoir redoutable 12
Qu'ont sur toi la chair et le sang. 8
35 Mais tu t'aimes encore ; et ton âme obstinée 12
Dans cette amour désordonnée 8
Ne peut y renoncer sans trouble et sans ennui : 12
De là vient que ton cœur s'épouvante et s'indigne ; 12
De là vient qu'il frémit, avant qu'il se résigne 12
40 Pleinement au vouloir d'autrui. 8
Que fais-tu de si grand, toi qui n'es que poussière, 12
Ou pour mieux dire, qui n'es rien, 8
Quand tu soumets pour moi ton âme un peu moins fière 12
À quelque autre vouloir qu'au tien ? 8
45 Moi qui suis tout-puissant, moi qui d'une parole 12
Ai bâti l'un et l'autre pôle, 8
Et tiré du néant tout ce qui s'offre aux yeux, 12
Moi dont tout l'univers est l'ouvrage et le temple, 12
Pour me soumettre à l'homme et te donner l'exemple, 12
50 Je suis bien descendu des cieux. 8
De ces palais brillants où ma gloire ineffable 12
Remplit tout de mon seul objet, 8
Je me suis ravalé jusqu'au rang d'un coupable, 12
Jusqu'à l'ordre le plus abjet. 8
55 Je me suis fait de tous le plus humble et le moindre, 12
Afin que tu susses mieux joindre 8
Un digne abaissement à ton indignité, 12
Et que malgré le monde et ses vaines amorces, 12
Pour dompter ton orgueil tu trouvasses des forces 12
60 Dans ma parfaite humilité. 8
Apprends de moi, pécheur, apprends l'obéissance 12
Des sentiments humiliés ; 8
Poudre, terre, limon, apprends de ta naissance 12
À te faire fouler aux pieds ; 8
65 Apprends à te ranger sous le plus rude empire ; 12
Apprends à te vaincre, à dédire 8
De ton propre vouloir les desirs les plus doux ; 12
Apprends à triompher des assauts qu'il te donne ; 12
Apprends à t'asservir à tout ce qu'on t'ordonne, 12
70 Apprends à te soumettre à tous. 8
Fais que contre toi-même un saint zèle t'enflamme 12
D'une juste indignation, 8
Pour étouffer soudain ce qui naît dans ton âme 12
De superbe et d'ambition ; 8
75 Désenfle-la si bien qu'elle soit toujours prête 12
À voir que chacun sur ta tête 8
Par un dernier mépris ose imprimer ses pas, 12
Que le plus rude affront n'ait pour toi rien d'étrange, 12
Et qu'alors qu'on te traite à l'égal de la fange, 12
80 Tu te mettes encor plus bas. 8
De quoi murmures-tu, chétive créature, 12
Et comment peux-tu repartir, 8
Alors qu'on te reproche, à toi qui n'es qu'ordure, 12
Ce que tu ne peux démentir ? 8
85 N'es-tu pas un ingrat, un rebelle à ma grâce, 12
D'avoir eu tant de fois l'audace 8
D'offenser, de trahir le dieu de l'univers ? 12
Et tes attachements, tes lâchetés, tes vices, 12
N'ont-ils pas mille fois mérité les supplices 12
90 Qui me vengent dans les enfers ? 8
Mais parce qu'à mes yeux ton âme est précieuse, 12
Il m'a plu de te pardonner, 8
Et je n'étends sur toi qu'une main amoureuse 12
Qui ne veut que te couronner. 8
95 Vois par là ma bonté, vois quelle est sa puissance ; 12
Montre par ta reconnoissance 8
Qu'enfin de mes bienfaits tu sais le digne prix ; 12
Fais de l'humilité ta plus douce habitude, 12
De la soumission ta plus ardente étude, 12
100 Et tes délices du mépris. 8
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