Métrique en Ligne
COR_1/COR67
Pierre CORNEILLE
Imitation De Jésus-Christ
1656
LIVRE DEUXIÈME
CHAPITRE X
De la reconnoissance pour les graces de Dieu.
Oh ! Que tu sais mal te connoître, 8
Mortel, et que mal à propos, 8
Toi que pour le travail Dieu voulut faire naître, 12
Tu cherches ici du repos ! 8
5 Songe plus à la patience 8
Qu'à cette aimable confiance 8
Que versent dans les cœurs ses consolations, 12
Et te prépare aux croix que sa justice envoie, 12
Plus qu'à cette innocente joie 8
10 Que mêlent ses bontés aux tribulations. 12
Quels mondains à Dieu si rebelles 8
De leurs âmes voudroient bannir 8
Le goût de ces douceurs toutes spirituelles, 12
S'ils pouvoient toujours l'obtenir ? 8
15 Les pompes que le siècle étale 8
N'ont jamais rien qui les égale : 8
Les délices des sens n'en sauroient approcher ; 12
Et de quelques appas qu'elles nous semblent pleines, 12
Celles du siècle enfin sont vaines, 8
20 Et la honte s'attache à celles de la chair. 12
Mais les douceurs spirituelles, 8
Seules dignes de nos desirs, 8
Seules n'ont rien de bas, et seules toujours belles, 12
Forment de solides plaisirs. 8
25 C'est la vertu qui les fait naître, 8
Et Dieu, cet adorable maître, 8
N'en est jamais avare aux cœurs purs et constants ; 12
Mais on n'en jouit pas autant qu'on le souhaite, 12
Et l'âme la moins imparfaite 8
30 Voit la tentation ne cesser pas longtemps. 12
Par trop d'espoir en nos mérites 8
La fausse liberté d'esprit 8
S'oppose puissamment à ces douces visites 12
Dont nous régale Jésus-Christ. 8
35 Lorsque sa grâce nous console, 8
D'un seul accent de sa parole 8
Il remplit tout l'excès de sa bénignité ; 12
Mais l'homme y répond mal, l'homme l'en désavoue, 12
S'il ne rend grâces, s'il ne loue, 8
40 S'il ne rapporte tout à sa haute bonté. 12
Veux-tu que la grâce divine 8
Coule abondamment dans ton cœur ? 8
Fais remonter ses dons jusqu'à son origine ; 12
N'en sois point ingrat à l'auteur. 8
45 Il fait toujours grâce nouvelle 8
À qui, pour la moindre étincelle, 8
Lui témoigne un esprit vraiment reconnoissant ; 12
Mais il sait bien aussi remplir cette menace 12
D'ôter au superbe la grâce 8
50 Dont il prodigue à l'humble un effet plus puissant. 12
Loin, consolations funestes, 8
Qui m'ôtez la componction ! 8
Loin de moi ces pensers qui semblent tous célestes, 12
Et m'enflent de présomption ! 8
55 Dieu n'a pas toujours agréable 8
Tout ce qu'un dévot trouve aimable ; 8
Toute élévation n'a pas la sainteté : 12
On peut monter bien haut sans atteindre aux couronnes ; 12
Toutes douceurs ne sont pas bonnes, 8
60 Et tous les bons desirs n'ont pas la pureté. 12
J'aime, j'aime bien cette grâce 8
Qui me sait mieux humilier, 8
Qui me tient mieux en crainte, et jamais ne se lasse 12
De m'apprendre à mieux m'oublier : 8
65 Ceux que ses dons daignent instruire, 8
Ceux qui savent où peut réduire 8
Le douloureux effet de sa substraction, 12
Jamais du bien qu'ils font n'osent prendre la gloire, 12
Jamais n'ôtent de leur mémoire 8
70 Qu'ils ne sont que misère et qu'imperfection. 12
Qu'une sainte reconnoissance 8
Rende donc à Dieu tout le sien ; 8
Et n'impute qu'à toi, qu'à ta propre impuissance, 12
Tout ce qui s'y mêle du tien : 8
75 Je m'explique, et je te veux dire 8
Que des grâces que Dieu t'inspire 8
Tu pousses jusqu'à lui d'humbles remercîments, 12
Et que te chargeant seul de toutes tes foiblesses, 12
Tu te prosternes, tu confesses 8
80 Qu'il ne te peut devoir que de longs châtiments. 12
Mets-toi dans le plus bas étage, 8
Il te donnera le plus haut : 8
C'est par l'humilité que le plus grand courage 12
Montre pleinement ce qu'il vaut. 8
85 La hauteur même dans le monde 8
Sur ce bas étage se fonde, 8
Et le plus haut sans lui n'y sauroit subsister : 12
Le plus grand devant Dieu, c'est le moindre en soi-même, 12
Et les vertus que le ciel aime 8
90 Par les ravalements trouvent l'art d'y monter. 12
La gloire des saints ne s'achève 8
Que par le mépris qu'ils en font ; 8
Leur abaissement croît autant qu'elle s'élève 12
Et devient toujours plus profond. 8
95 La vaine gloire a peu de place 8
Dans un cœur où règne la grâce, 8
L'amour de la céleste occupe tout le lieu ; 12
Et cette propre estime, où se plaît la nature, 12
Ne sauroit trouver d'ouverture 8
100 Dans celui qui se fonde et s'affermit en Dieu. 12
Quand l'homme à cet être sublime 8
Rend tout ce qu'il reçoit de bien, 8
D'aucun autre ici-bas il ne cherche l'estime : 12
Ici-bas il ne voit plus rien. 8
105 Dans le combat, dans la victoire, 8
De tels cœurs ne veulent de gloire 8
Que celle que Dieu seul y verse de ses mains : 12
Tout leur amour est Dieu, tout leur but sa louange, 12
Tout leur souhait, que sans mélange, 8
110 Elle éclate partout, en eux, en tous les saints. 12
Aussi sa bonté semble croître 8
Des louanges que tu lui rends ; 8
Et pour ses moindres dons savoir le reconnoître, 12
C'est en attirer de plus grands. 8
115 Tiens ses moindres grâces pour grandes, 8
N'en reçois point que tu n'en rendes : 8
Crois plus avoir reçu que tu n'as mérité ; 12
Estime précieux, estime incomparable 12
Le don le moins considérable, 8
120 Et redouble son prix par ton humilité. 12
Si dans les moindres dons tu passes 8
À considérer leur auteur, 8
Verras-tu rien de vil, rien de foible en ses grâces, 12
Rien de contemptible à ton cœur ? 8
125 On ne peut sans ingratitude 8
Nommer rien de bas ni de rude, 8
Quand il vient d'un si grand et si doux souverain ; 12
Et lorsqu'il fait pleuvoir des maux et des traverses, 12
Ce ne sont que grâces diverses 8
130 Dont avec pleine joie il faut bénir sa main. 12
Cette charité, toujours vive, 8
Qui n'a que notre bien pour but, 8
Dispose avec amour tout ce qui nous arrive, 12
Et fait tout pour notre salut. 8
135 Montre une âme reconnoissante 8
Quand tu sens la grâce puissante ; 8
Sois humble et patient dans sa substraction ; 12
Joins, pour la rappeler, les pleurs à la prière, 12
Et de peur de la perdre entière, 8
140 Unis la vigilance à la soumission. 12
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