Métrique en Ligne
COR_1/COR63
Pierre CORNEILLE
Imitation De Jésus-Christ
1656
LIVRE DEUXIÈME
CHAPITRE VI
Des joies de la bonne conscience.
Droite et sincère conscience, 8
Digne gloire des gens de bien, 8
Oh ! Que ton témoignage est un doux entretien, 12
Et qu'il mêle de joie à notre patience, 12
5 Quand il ne nous reproche rien ! 8
Tu fais souffrir avec courage, 8
Tu fais combattre en sûreté ; 8
L'allégresse te suit parmi l'adversité, 12
Et contre les assauts du plus cruel orage 12
10 Tu soutiens la tranquillité. 8
Mais la conscience gâtée 8
Tremble au dedans sous le remords ; 8
Sa vaine inquiétude égare ses efforts ; 12
Et les noires vapeurs dont elle est agitée 12
15 Offusquent même ses dehors. 8
Malgré le monde et ses murmures, 8
Homme, tu sauras vivre en paix, 8
Si ton cœur est d'accord de tout ce que tu fais, 12
Et s'il ne porte point de secrètes censures 12
20 Sur la chaleur de tes souhaits. 8
Aime les avis qu'il t'envoie, 8
Embrasse leur correction, 8
Et pour te bien tenir en ta possession, 12
Jamais ne te hasarde à prendre aucune joie 12
25 Qu'après une bonne action. 8
Méchants, cette vraie allégresse 8
Ne peut entrer en votre cœur : 8
Le calme en est banni par la voix du seigneur, 12
Et c'est faire une injure à sa parole expresse 12
30 Que vous vanter d'un tel bonheur. 8
Ne dites point, pour nous séduire, 8
Que vous vivez en pleine paix, 8
Que les malheurs sur vous ne tomberont jamais, 12
Et qu'aucun assez vain pour prétendre à vous nuire 12
35 N'en sauroit venir aux effets. 8
Vous mentez, et l'ire divine, 8
Bientôt contrainte d'éclater, 8
Dans un triste néant vous va précipiter ; 12
Et sous l'affreux débris d'une prompte ruine 12
40 Tous vos desseins vont avorter. 8
Le juste a des routes diverses : 8
Il aime en Dieu l'affliction, 8
Et se souvient toujours parmi l'oppression 12
Que prendre quelque gloire à souffrir des traverses, 12
45 C'est en prendre en sa passion. 8
Il voit celle qui vient des hommes 8
Avec mépris, avec courroux : 8
Aussi n'a-t-elle rien qu'il puisse trouver doux ; 12
Elle est foible, elle est vaine, ainsi que nous le sommes, 12
50 Et périssable comme nous. 8
Elle n'est jamais si fidèle 8
Qu'elle ne déçoive à la fin ; 8
Et la déloyauté de son éclat malin 12
Dans un brillant nuage enveloppe avec elle 12
55 Un noir amas de long chagrin. 8
Celle des bons, toute secrète, 8
N'a ni pompe, ni faux attraits ; 8
Leur seule conscience en forme tous les traits, 12
Et la bouche de l'homme, à changer si sujette, 12
60 Ne la fait ni détruit jamais. 8
De Dieu seul part toute leur joie, 8
De qui la sainte activité, 8
Remontant vers sa source avec rapidité, 12
S'attache à la grandeur de la main qui l'envoie, 12
65 Et s'abîme en sa vérité. 8
L'amour de la gloire éternelle 8
Les sait si pleinement saisir, 8
Que leur âme est stupide à tout autre plaisir, 12
Et que tout ce qu'on voit de gloire temporelle 12
70 Ne les touche d'aucun desir. 8
Aussi l'issue en est funeste 8
Pour qui ne peut s'en dégager ; 8
Et qui de tout son cœur n'aime à la négliger 12
Ne peut avoir d'amour pour la gloire céleste, 12
75 Ou cet amour est bien léger. 8
Douce tranquillité de l'âme, 8
Avant-goût de celle des cieux, 8
Tu fermes pour la terre et l'oreille et les yeux ; 12
Et qui sait dédaigner la louange et le blâme 12
80 Sait te posséder en tous lieux. 8
Ton repos est une conquête 8
Dont jouissent en sûreté 8
Ceux dont la conscience est sans impureté ; 12
Et le cœur est un port où n'entre la tempête 12
85 Que par la vaine anxiété. 8
Ris donc, mortel, des vains mélanges 8
Qu'ici le monde aime à former : 8
Il a beau t'applaudir ou te mésestimer, 12
Tu n'en es pas plus saint pour toutes ses louanges, 12
90 Ni moindre pour t'en voir blâmer. 8
Ce que tu vaux est en toi-même, 8
Tu fais ton prix par tes vertus ; 8
Tous les encens d'autrui sont encens superflus ; 12
Et ce qu'on est aux yeux du monarque suprême, 12
95 On l'est partout, et rien de plus. 8
Vois-toi dedans, et considère 8
Le fond de ton intention : 8
Qui peut s'y regarder avec attention, 12
Soit qu'on parle de lui, soit qu'on veuille s'en taire, 12
100 N'en prend aucune émotion. 8
L'homme ne voit que le visage, 8
Mais Dieu voit jusqu'au fond du cœur ; 8
L'homme des actions voit la vaine splendeur, 12
Mais Dieu connoît leur source, et voit dans le courage 12
105 Ou leur souillure ou leur candeur. 8
Fais toujours bien, et fuis le crime, 8
Sans t'en donner de vanité ; 8
Du mépris de toi-même arme ta sainteté : 12
Bien vivre et ne s'enfler d'aucune propre estime, 12
110 C'est la parfaite humilité. 8
La marque d'une âme bien pure 8
Qui hors de Dieu ne cherche rien, 8
Et met en ses bontés son unique soutien, 12
C'est d'être sans desir qu'aucune créature 12
115 En dise ou pense quelque bien. 8
Cette sévère négligence 8
Des témoignages du dehors 8
Pour l'attacher à Dieu réunit ses efforts, 12
Et l'abandonne entière à cette providence 12
120 Qu'adorent ses heureux transports. 8
« ce n'est pas celui qui se loue, 8
Dit Saint Paul, qui sera sauvé : 8
Qui s'approuve soi-même est souvent réprouvé ; 12
Et c'est celui-là seul que ce grand maître avoue, 12
125 Qui pour sa gloire est réservé. » 8
Enfin cheminer dans sa voie, 8
Faire avec lui forte union, 8
Ne se lier ailleurs d'aucune affection, 12
N'avoir que lui pour but, que son amour pour joie, 12
130 C'est l'entière perfection. 8
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