Métrique en Ligne
COR_1/COR62
Pierre CORNEILLE
Imitation De Jésus-Christ
1656
LIVRE DEUXIÈME
CHAPITRE V
De la considération de soi-même
Ne nous croyons pas trop ; souvent nos connoissances 12
Ne sont enfin qu'illusions ; 8
Souvent la grâce y manque, et toutes nos puissances 12
N'ont que de fausses visions. 8
5 Nous avons peu de jour à discerner la feinte 12
D'avec la pure vérité, 8
Et sa foible lumière est aussitôt éteinte 12
Par notre indigne lâcheté. 8
L'homme aveugle au dedans rarement se défie 12
10 De cet aveuglement fatal, 8
Et quelque mal qu'il fasse, il ne s'en justifie 12
Qu'en s'excusant encor plus mal. 8
Souvent tout ébloui d'une vaine étincelle 12
Qui brille en sa dévotion, 8
15 Il impute à l'ardeur d'un véritable zèle 12
Les chaleurs de sa passion. 8
Comme partout ailleurs il porte une lumière 12
Qui chez lui n'éclaire pas bien, 8
Il voit en l'œil d'autrui la paille et la poussière, 12
20 Et ne voit pas la poutre au sien. 8
Ce qu'il souffre d'un autre est une peine extrême : 12
Il en fait bien sonner l'ennui, 8
Et ne s'aperçoit pas combien cet autre même 12
À toute heure souffre de lui. 8
25 Le vrai dévot sait prendre une juste balance 12
Pour mieux peser tout ce qu'il fait, 8
Et consumant sur soi toute sa vigilance, 12
Il croit chacun moins imparfait. 8
Il se voit le premier, et met ce qu'il doit faire 12
30 Au-devant de tout autre emploi, 8
Et quoi qu'ailleurs il voie, il apprend à s'en taire, 12
À force de penser à soi. 8
Si tu veux donc monter jusqu'au degré suprême 12
De la haute dévotion, 8
35 Ne censure aucun autre, et fixe sur toi-même 12
L'effort de ton attention. 8
Pense à toute heure à Dieu, mais de toutes tes forces ; 12
Pense à toi de tout ton pouvoir, 8
Et de l'extérieur les flatteuses amorces 12
40 Ne pourront jamais t'émouvoir. 8
Sais-tu, quand tu n'es pas présent à ta pensée, 12
Où vont sans toi tes vœux confus ? 8
Et vois-tu ce que fait ton âme dispersée 12
Quand tu ne la regardes plus ? 8
45 Quand ton esprit volage a couru tout le monde, 12
Quel fruit en peux-tu retirer, 8
S'il est le seul qu'enfin sa course vagabonde 12
Néglige de considérer ? 8
Veux-tu vivre en repos, et que ton âme entière 12
50 S'unisse au monarque des cieux ? 8
Sache pour ton salut mettre tout en arrière, 12
Et l'avoir seul devant les yeux. 8
Tu l'avances beaucoup, si tu fais rude guerre 12
Aux soins qui règnent ici-bas ; 8
55 Et le recules fort, si de toute la terre 12
Tu peux faire le moindre cas. 8
Ne crois rien fort, rien grand, rien haut, rien desirable, 12
Rien digne de t'entretenir, 8
Que Dieu, que ce qui part de sa main adorable, 12
60 Que ce qui t'en fait souvenir. 8
Tiens pour vain et trompeur ce que les créatures 12
T'offrent de consolations, 8
Et n'abaisse jamais à leurs douceurs impures 12
L'honneur de tes affections. 8
65 L'âme que pour Dieu brûle un feu vraiment céleste 12
Ne peut accepter d'autre appui : 8
Elle est toute à lui seule, et dédaigne le reste, 12
Qu'elle voit au-dessous de lui. 8
Il est lui seul aussi d'éternelle durée, 12
70 Il remplit tout de sa bonté, 8
Il est seul de nos cœurs l'allégresse épurée, 12
Et seul notre félicité. 8
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