Métrique en Ligne
COR_1/COR33
Pierre CORNEILLE
Imitation De Jésus-Christ
1656
LIVRE PREMIER
CHAPITRE I
De l'imitation de Jésus-Christ, et du mépris
de toutes les vanités du monde.
« heureux qui tient la route où ma voix le convie, 12
Les ténèbres jamais n'approchent qui me suit, 12
Et partout sur mes pas il trouve un jour sans nuit 12
Qui porte jusqu'au cœur la lumière de vie. » 12
5 Ainsi Jésus-Christ parle ; ainsi de ses vertus, 12
Dont brillent les sentiers qu'il a pour nous battus, 12
Les rayons toujours vifs montrent comme il faut vivre ; 12
Et quiconque veut être éclairé pleinement 12
Doit apprendre de lui que ce n'est qu'à le suivre 12
10 Que le cœur s'affranchit de tout aveuglement. 12
Les doctrines des saints n'ont rien de comparable 12
À celle dont lui-même il s'est fait le miroir : 12
Elle a mille trésors qui se font bientôt voir, 12
Quand l'œil a pour flambeau son esprit adorable. 12
15 Toi qui par l'amour-propre à toi-même attaché, 12
L'écoutes et la lis sans en être touché, 12
Faute de cet esprit tu n'y trouves qu'épines ; 12
Mais si tu veux l'entendre et lire avec plaisir, 12
Conformes-y ta vie, et ses douceurs divines 12
20 S'étaleront en foule à ton heureux desir. 12
Que te sert de percer les plus secrets abîmes, 12
Où se cache à nos sens l'immense trinité, 12
Si ton intérieur, manque d'humilité, 12
Ne lui sauroit offrir d'agréables victimes ? 12
25 Cet orgueilleux savoir, ces pompeux sentiments, 12
Ne sont aux yeux de Dieu que de vains ornements ; 12
Il ne s'abaisse point vers des âmes si hautes, 12
Et la vertu sans eux est de telle valeur, 12
Qu'il vaut mieux bien sentir la douleur de tes fautes, 12
30 Que savoir définir ce qu'est cette douleur. 12
Porte toute la bible en ta mémoire empreinte, 12
Sache tout ce qu'ont dit les sages des vieux temps, 12
Joins-y, si tu le peux, tous les traits éclatants 12
De l'histoire profane et de l'histoire sainte : 12
35 De tant d'enseignements l'impuissante langueur 12
Sous leur poids inutile accablera ton cœur, 12
Si Dieu n'y verse encor son amour et sa grâce ; 12
Et l'unique science où tu dois prendre appui, 12
C'est que tout n'est ici que vanité qui passe, 12
40 Hormis d'aimer sa gloire, et ne servir que lui. 12
C'est là des vrais savants la sagesse profonde ; 12
Elle est bonne en tout temps, elle est bonne en tous lieux, 12
Et le plus sûr chemin pour aller vers les cieux, 12
C'est d'affermir nos pas sur le mépris du monde. 12
45 Ce dangereux flatteur de nos foibles esprits 12
Oppose mille attraits à ce juste mépris ; 12
Qui s'en laisse éblouir s'en laisse tôt séduire ; 12
Mais ouvre bien les yeux sur leur fragilité, 12
Regarde qu'un moment suffit pour les détruire, 12
50 Et tu verras qu'enfin tout n'est que vanité. 12
Vanité d'entasser richesses sur richesses ; 12
Vanité de languir dans la soif des honneurs ; 12
Vanité de choisir pour souverains bonheurs 12
De la chair et des sens les damnables caresses ; 12
55 Vanité d'aspirer à voir durer nos jours 12
Sans nous mettre en souci d'en mieux régler le cours, 12
D'aimer la longue vie et négliger la bonne, 12
D'embrasser le présent sans soin de l'avenir, 12
Et de plus estimer un moment qu'il nous donne 12
60 Que l'attente des biens qui ne sauroient finir. 12
Toi donc, qui que tu sois, si tu veux bien comprendre 12
Comme à tes sens trompeurs tu dois te confier, 12
Souviens-toi qu'on ne peut jamais rassasier 12
Ni l'œil humain de voir, ni l'oreille d'entendre ; 12
65 Qu'il faut se dérober à tant de faux appas, 12
Mépriser ce qu'on voit pour ce qu'on ne voit pas, 12
Fuir les contentements transmis par ces organes ; 12
Que de s'en satisfaire on n'a jamais de lieu, 12
Et que l'attachement à leurs douceurs profanes 12
70 Souille ta conscience, et t'éloigne de Dieu. 12
logo du CRISCO logo de l'université