Métrique en Ligne
COR_1/COR139
Pierre CORNEILLE
Imitation De Jésus-Christ
1656
LIVRE QUATRIÈME
CHAPITRE X
Qu'il ne faut pas aisément quitter la sainte communion.
Tu dois avoir souvent recours 8
À la source de grâce et de miséricorde, 12
Cette fontaine pure où se forme le cours 12
D'un torrent de bonté qui sur toi se déborde. 12
5 Ainsi tu sauras t'affranchir 8
De tout ce qui te fait gauchir 8
Vers les passions et les vices ; 8
Ainsi plus vigoureux, ainsi plus vigilant, 12
Des attaques du diable et de ses artifices 12
10 Tu braveras la ruse et l'effort insolent. 12
Ce fier ennemi des mortels 8
De la communion sait quel bonheur procède, 12
Et combien on reçoit au pied de mes autels, 12
En ce festin sacré, de fruit et de remède. 12
15 Il ne perd point d'occasions 8
De semer ses illusions 8
Pour en détourner les fidèles : 8
Il en fait son grand œuvre, et met tout son pouvoir 12
À ne laisser en l'âme aucunes étincelles 12
20 Qui puissent rallumer l'ardeur de ce devoir. 12
Plus il te voit t'y préparer 8
Avec une ferveur d'un saint espoir guidée, 12
Plus les fantômes noirs qu'il te vient figurer 12
Font un épais nuage et brouillent ton idée. 12
25 Tu lis dans Job en plus d'un lieu 8
Que parmi les enfants de Dieu 8
Cet esprit ténébreux se coule ; 8
C'est contre eux qu'il s'efforce, et sa malignité 12
Prend mille objets impurs que devant eux il roule, 12
30 Pour les remplir de crainte ou de perplexité. 12
Il tâche par mille embarras 8
De vaincre ou d'affoiblir le zèle qui t'enflamme, 12
Et de se rendre maître à force de combats 12
De cette aveugle foi qui t'illumine l'âme. 12
35 Il ne néglige aucun secret 8
Pour t'éloigner de ce banquet, 8
Ou t'en faire approcher plus tiède ; 8
Mais il est en ta main de le rendre impuissant : 12
Son plus heureux effort n'abat que qui lui cède, 12
40 Et ne peut t'ébranler, si ton cœur n'y consent. 12
Quelques horribles saletés 8
Dont contre toi sa rage excite la tempête, 12
Tu n'as qu'à te moquer de leurs impuretés, 12
Et tu renverseras leurs foudres sur sa tête : 12
45 Tu n'as qu'à traiter de mépris 8
Ce roi des malheureux esprits, 8
Pour le dépouiller de sa force. 8
Ris donc de son insulte, et quelque émotion 12
Dont il ose à tes yeux jeter l'indigne amorce, 12
50 Ne te relâche point de la communion. 12
Souvent, à force d'y penser, 8
Le soin d'être dévot trop longtemps inquiète ; 12
Souvent l'anxiété de se bien confesser 12
Enveloppe l'esprit d'une langueur secrète. 12
55 Fais choix alors de confidents 8
Qui soient éclairés et prudents, 8
Et bannis tout le vain scrupule : 8
Il empêche ma grâce, et la précaution 12
Que lui fait apporter son effroi ridicule 12
60 Éteint le plus beau feu de la dévotion. 12
Faut-il pour un trouble léger, 8
Pour un amusement qu'un vain objet excite, 12
Pour une pesanteur qui te vient assiéger, 12
Que ta communion se diffère ou se quitte ? 12
65 Porte tout à ce tribunal, 8
Où, par un bonheur sans égal, 8
Qui s'accuse aussitôt s'épure : 8
Pardonne à qui t'offense, et cours aux pieds d'autrui 12
Lui demander pardon, si tu lui fis injure ; 12
70 Tu l'obtiendras de moi, si tu le veux de lui. 12
Que peut avoir d'utilité 8
De la confession cette folle remise ? 12
De quoi te peut servir cette facilité 12
À reculer un bien que t'offre mon église ? 12
75 Vomis tout ce maudit poison, 8
Et pour en purger ta raison 8
Cours en hâte à ce grand remède : 8
Tu t'en trouveras mieux, et tu dois redouter 12
Qu'à l'obstacle présent quelque autre ne succède, 12
80 Plus fâcheux à souffrir et plus fort à dompter. 12
Remettre ainsi de jour en jour 8
Pour te mieux préparer à ce bonheur insigne, 12
C'est te priver longtemps de ce gage d'amour, 12
Et peut-être à la fin t'en rendre plus indigne. 12
85 Romps le plus tôt que tu pourras 8
Les chaînes de ces embarras 8
Dont ta propre lenteur t'accable : 8
Nourrir l'inquiétude apporte peu de fruit, 12
Et l'on s'avance mal quand on refuit ma table 12
90 Pour des empêchements que chaque jour produit. 12
Sais-tu que l'assoupissement 8
Où te laisse plonger ta langueur insensible 12
T'achemine à grands pas à l'endurcissement, 12
Et qu'à force de temps il devient invincible ? 12
95 Qu'il est de lâches, qu'il en est, 8
Dont la tépidité s'y plaît 8
Jusqu'à le rendre volontaire, 8
Et dont la nonchalance aime à prendre aux cheveux 12
La moindre occasion d'éloigner un mystère 12
100 Qui les obligeroit d'avoir mieux l'œil sur eux ! 12
Oh ! Que foible est leur charité ! 8
Que leur dévotion est traînante et débile ! 12
Et que ce zèle est faux dont l'imbécillité 12
À quitter un tel bien se trouve si facile ! 12
105 Heureux l'homme qui tous les jours 8
Pour recevoir un tel secours 8
Épure assez sa conscience, 8
Et n'en passeroit point sans un si grand appui, 12
Si de ses directeurs il en avoit licence, 12
110 Ou qu'il ne craignît point qu'on parlât trop de lui ! 12
Quand par un humble sentiment 8
Le respect en conseille une sainte abstinence, 12
Ou qu'on y voit d'ailleurs un juste empêchement, 12
Un homme est à louer de cette révérence ; 12
115 Mais lorsque parmi ce conseil 8
Il se glisse un morne sommeil, 8
On se doit exciter soi-même, 8
Faire tout ce que peut l'humaine infirmité : 12
Mon secours est tout prêt, et ma bonté suprême 12
120 Considère surtout la bonne volonté. 12
Alors que ta dévotion 8
A pour s'en abstenir des causes légitimes, 12
Ton desir vertueux, ta bonne intention, 12
Te peuvent en donner les fruits les plus sublimes. 12
125 Quiconque a Dieu devant les yeux 8
Peut en tout temps, peut en tous lieux 8
Goûter en esprit ce mystère : 8
Il n'est obstacle aucun qui l'en puisse empêcher, 12
Et c'est toujours pour l'âme un repas salutaire 12
130 Quand, au défaut du corps, elle en sait approcher ; 12
Non que cette communion, 8
Qu'il peut faire en tout temps, toute spirituelle, 12
Doive monter si haut en son opinion 12
Que son esprit content néglige l'actuelle : 12
135 Il faut que souvent sa ferveur 8
De la bouche comme du cœur 8
Reçoive ce vrai pain des anges, 8
Qu'il ait des temps réglés pour un si digne effet, 12
Et s'y donne pour but ma gloire et mes louanges, 12
140 Plus que ce qui le flatte et qui le satisfait. 12
Attendant ces jours bienheureux, 8
Contemple dans la crèche un Dieu qui s'est fait homme ; 12
Repasse en ton esprit mon trépas douloureux ; 12
Vois l'œuvre du salut qu'en la croix je consomme : 12
145 Autant de fois qu'un saint transport 8
Dans ma naissance ou dans ma mort 8
Prendra de quoi croître ta flamme, 8
Ton zèle autant de fois saura mystiquement 12
D'une invisible main communier ton âme, 12
150 Et recevra le fruit de ce grand sacrement. 12
Qui ne daigne s'y préparer 8
Qu'alors qu'il est pressé par quelque grande fête, 12
Et que le jour pour lui semble le desirer, 12
Y portera souvent une âme fort mal prête. 12
155 Heureux qui du plus digne apprêt, 8
Sans attache au propre intérêt, 8
Fait son ordinaire exercice, 8
Et s'offre en holocauste à son père immortel, 12
Quand pour le sacrement ou pour le sacrifice 12
160 Il se met à ma table, ou monte à mon autel ! 12
Observe pour dernier avis 8
De n'être ni trop long, ni trop court en ta messe : 12
Contente ainsi que toi ceux avec qui tu vis, 12
Et garde un train commun en qui rien ne les blesse. 12
165 Un prêtre n'est bon que pour lui, 8
S'il gêne le zèle d'autrui, 8
Faute de suivre la coutume ; 8
Et tu dois regarder ce qui profite à tous 12
Plus que toute l'ardeur qui dans ton cœur s'allume, 12
170 Et que tous ces élans qui te semblent si doux. 12
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