Métrique en Ligne
COR_1/COR128
Pierre CORNEILLE
Imitation De Jésus-Christ
1656
LIVRE TROISIÈME
CHAPITRE LIX
Qu'il faut mettre en Dieu seul tout notre espoir
et toute notre confiance.
Seigneur, quelle est ma confiance 8
Au triste séjour où je suis ? 8
Et de quelles douceurs l'heureuse expérience 12
Rompt le mieux cette impatience 8
5 Où me réduisent mes ennuis ? 8
En puis-je trouver qu'en toi-même, 8
Sauveur amoureux et bénin, 8
Dont la miséricorde en un degré suprême 12
Verse dans une âme qui t'aime 8
10 Des plaisirs sans nombre et sans fin ? 8
En quels lieux hors de ta présence 8
M'est-il arrivé quelque bien ? 8
Et quels maux à mon cœur font sentir leur puissance, 12
Sinon alors que ton absence 8
15 Me prive de ton cher soutien ? 8
La fortune avec ses largesses 8
À tous les mondains fait la loi ; 8
Mais si la pauvreté jouit de tes caresses, 12
Je la préfère à ces richesses 8
20 Qui séparent l'homme de toi. 8
Le ciel même, quelque avantage 8
Que sur la terre il puisse avoir, 8
Me verroit mieux aimer cet exil, ce passage, 12
Si tu m'y montrois ton visage, 8
25 Que son paradis sans te voir. 8
C'est le seul aspect du grand maître 8
Qui fait le bon ou mauvais sort : 8
Tu mets le ciel partout où tu te fais paroître, 12
Et les lieux où tu cesses d'être, 8
30 C'est là qu'est l'enfer et la mort. 8
Puisque c'est à toi que j'aspire, 8
Qu'en toi seul est ce que je veux, 8
Il faut bien qu'après toi je pleure, je soupire, 12
Et que jusqu'à ce que j'expire, 8
35 J'envoie après toi tous mes vœux. 8
Quelle autre confiance pleine 8
Pourroit me promettre un secours 8
Qui de tous les besoins de la misère humaine, 12
Par une vertu souveraine, 8
40 Pût tarir ou borner le cours ? 8
Toi seul es donc mon espérance, 8
L'appui de mon infirmité, 8
Le Dieu saint, le Dieu fort, qui fait mon assurance, 12
Qui me console en ma souffrance, 8
45 Et m'aime avec fidélité. 8
Chacun cherche ses avantages ; 8
Tu ne regardes que le mien, 8
Et c'est pour mon salut qu'à m'aimer tu t'engages, 12
Que tu calmes tous mes orages, 8
50 Que tu me tournes tout en bien. 8
La rigueur même des traverses 8
A pour but mon utilité : 8
C'est la part des élus ; par là tu les exerces, 12
Et leurs tentations diverses 8
55 Sont des marques de ta bonté. 8
Ton nom n'est pas moins adorable 8
Parmi les tribulations, 8
Et dans leur dureté tu n'es pas moins aimable 12
Que quand ta douceur ineffable 8
60 Répand ses consolations. 8
Aussi ne mets-je mon refuge 8
Qu'en toi, mon souverain auteur ; 8
Et de tous mes ennuis quel que soit le déluge, 12
Hors du sein de mon propre juge 8
65 Je ne veux point de protecteur. 8
Je ne vois ailleurs que foiblesse, 8
Qu'une lâche instabilité, 8
Qui laisse trébucher au moindre assaut qui presse 12
L'effort de sa vaine sagesse 8
70 Sous sa propre imbécillité. 8
Hors de toi point d'ami qui donne 8
De favorables appareils, 8
Point de secours si fort qui soudain ne s'étonne, 12
Point de prudence qui raisonne, 8
75 Point de salutaires conseils. 8
Il n'est sans toi docteur ni livre 8
Qui me console en ma douleur ; 8
Il n'est de tant de maux trésor qui me délivre, 12
Ni lieu sûr où je puisse vivre 8
80 Exempt de trouble et de malheur. 8
À moins que ta sainte parole 8
Relève mon cœur languissant, 8
À moins qu'elle m'instruise en ta divine école, 12
Qu'elle m'assiste et me console, 8
85 Le reste demeure impuissant. 8
Tout ce qui semble ici produire 8
La paix dont on pense jouir, 8
N'est sans toi qu'un éclair si prompt à se détruire, 12
Que le moment qui le fait luire 8
90 Le fait aussi s'évanouir. 8
Non, ce n'est qu'une vaine idée 8
D'une fausse tranquillité, 8
Une couleur trompeuse, une image fardée, 12
Qui n'a ni douceur bien fondée, 8
95 Ni solide félicité. 8
Ainsi tout ce qu'a cette vie 8
D'éminent et d'illustre emploi, 8
Les plus profonds discours dont l'âme y soit ravie, 12
Tous les biens dont elle est suivie, 8
100 N'ont fin ni principe que toi. 8
Ainsi de toute la misère 8
Où nous plonge son embarras 8
L'âme sait adoucir l'aigreur la plus amère, 12
Quand par-dessus tout elle espère 8
105 Aux saintes faveurs de ton bras. 8
C'est en toi seul que je me fie ; 8
À toi seul j'élève mes yeux ; 8
Dieu de miséricorde, éclaire, sanctifie, 12
Épure, bénis, fortifie 8
110 Mon âme du plus haut des cieux. 8
Fais-en un siège de ta gloire, 8
Un lieu digne de ton séjour, 8
Un temple où, parmi l'or et l'azur et l'ivoire, 12
Aucune ombre ne soit si noire 8
115 Qu'elle déplaise à ton amour. 8
Joins à ta clémence ineffable 8
De ta pitié l'immense effort, 8
Et ne rejette pas les vœux d'un misérable 12
Qui traîne un exil déplorable 8
120 Parmi les ombres de la mort. 8
Rassure mon âme alarmée ; 8
Et contre la corruption, 8
Contre tous les périls dont la vie est semée, 12
Toi qui pour le ciel l'as formée, 8
125 Prends-la sous ta protection. 8
Qu'ainsi ta grâce l'accompagne, 8
Et par les sentiers de la paix, 8
À travers cette aride et pierreuse campagne, 12
La guide à la sainte montagne 8
130 Où ta clarté luit à jamais. 8
logo du CRISCO logo de l'université