Métrique en Ligne
COR_1/COR121
Pierre CORNEILLE
Imitation De Jésus-Christ
1656
LIVRE TROISIÈME
CHAPITRE LII
Que l'homme ne se doit point estimer digne de
consolation, mais plutôt de chatiment.
Seigneur, si je m'arrête au peu que je mérite, 12
Je ne puis espérer tes consolations, 12
Ni que du haut du ciel ta secrète visite 12
Daigne adoucir l'aigreur de mes afflictions. 12
5 Je n'en fus jamais digne, et lorsque tu me laisses 12
Dénué, pauvre, infirme, impuissant, éperdu, 12
Tu ne fais que justice à mes lâches foiblesses, 12
Et ce triste abandon me rend ce qui m'est dû. 12
Quand de tout mon visage un océan de larmes 12
10 Pourroit à gros torrents incessamment couler, 12
Je n'aurois aucun droit au moindre de ces charmes 12
Que versent tes bontés quand tu viens consoler. 12
Après m'être noirci d'un million d'offenses, 12
M'être fait un rebelle à tes commandements, 12
15 Tu ne me peux devoir pour justes récompenses 12
Que d'âpres coups de fouet, et de longs châtiments. 12
Je l'avoue à ma honte ; et plus je m'examine, 12
Plus je découvre en moi cette indigne noirceur, 12
Qui ne peut mériter de ta faveur divine 12
20 Ni le moindre secours, ni la moindre douceur. 12
Mais toi, dont la bonté passe toute mesure 12
À prodiguer les biens dont ses trésors sont pleins, 12
Et qui dans cette indigne et vile créature 12
Considères encor l'ouvrage de tes mains ; 12
25 Toi, qui ne veux jamais que tes œuvres périssent, 12
Tu ne regardes point ce que j'ai mérité, 12
Et de ces grands vaisseaux qui jamais ne tarissent 12
Tu fais couler les dons de ta bénignité. 12
Tu les répands sur moi, seigneur ; tu me consoles, 12
30 Non pas à la façon des hommes tels que nous : 12
Leurs consolations se bornent aux paroles ; 12
Les tiennes ont l'effet aussi prompt qu'il est doux. 12
Que t'ai-je fait, ô Dieu, daigne que ta clémence 12
M'envoie ainsi d'en haut un céleste rayon ? 12
35 Et qui me fait ainsi jouir de ta présence, 12
Moi qui ne me souviens d'avoir rien fait de bon ? 12
Je force ma mémoire à retracer ma vie, 12
Et n'y vois que désordre et que déréglement, 12
Qu'une pente au péché honteusement suivie, 12
40 Qu'une morne langueur pour mon amendement. 12
C'est une vérité que je ne te puis taire ; 12
Et si mon impudence osoit la dénier, 12
Tes yeux me convaincroient aussitôt du contraire, 12
Sans qu'aucun entreprît de me justifier. 12
45 Qu'ai-je pu mériter par cet amour du vice, 12
Que d'être mis au rang des plus grands criminels ? 12
Et si tu fais agir seulement ta justice, 12
Qu'aura-t-elle pour moi que des feux éternels ? 12
Je ne suis digne au plus que de voir sur ma face 12
50 L'opprobre et le mépris rejaillir à grands flots ; 12
Et c'est injustement que j'occupe une place 12
Dans cette maison sainte où vivent tes dévots. 12
Je veux bien contre moi rendre ce témoignage, 12
Quelque dur qu'il me soit d'entendre ce discours, 12
55 Afin que ta pitié plus aisément s'engage 12
À remettre mon crime et me prêter secours. 12
Tout confus que je suis de me voir si coupable, 12
Que dirai-je, sinon : « j'ai péché, mon sauveur, 12
J'ai péché ; mais pardonne, et d'un œil pitoyable 12
60 Regarde un criminel qui demande faveur ; 12
« ne la refuse pas aux peines que j'endure, 12
Et laisse-moi du moins plaindre un peu mes douleurs, 12
Avant que je descende en cette terre obscure, 12
Qu'enveloppe la mort de ses noires couleurs ? » 12
65 Ce que tu veux surtout d'une âme ensevelie 12
Dans cette juste horreur que lui fait son péché, 12
C'est que le cœur se brise, et qu'elle s'humilie 12
Sous le saint repentir dont ce cœur est touché. 12
Cette contrition humble, sincère, vraie, 12
70 Autorise l'espoir du pardon attendu, 12
Calme si bien l'esprit, ferme si bien sa plaie, 12
Que ta grâce lui rend ce qu'il avoit perdu. 12
C'est une sauvegarde à l'âme pénitente 12
Contre l'ire future et l'effroyable jour : 12
75 Dieu vient au-devant d'elle, et remplit son attente 12
Par un baiser de paix qui rejoin leur amour. 12
C'est, ô Dieu tout-puissant, c'est l'heureux sacrifice 12
Qu'accepte à bras ouverts ton immense grandeur ; 12
Et tout l'encens du monde offert à ta justice 12
80 N'a point de quoi répandre une si douce odeur. 12
C'est l'onguent précieux, c'est le nard dont toi-même 12
As voulu qu'ici-bas l'homme embaumât tes pieds ; 12
Et jamais on n'a vu que ta bonté suprême 12
Ait dédaigné les vœux des cœurs humiliés. 12
85 C'est l'asile assuré contre la fière audace 12
Dont nos vieux ennemis osent nous assaillir ; 12
Par là de tout l'impur la souillure s'efface ; 12
Par là nous dépouillons tout ce qui fait faillir. 12
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