Métrique en Ligne
COP_7/COP200
François COPPÉE
LE RELIQUAIRE
1866
RÉDEMPTION
Pour aimer une fois encor, mais une seule, 12
Je veux, libertin repentant, 8
La vierge qui, rêveuse aux genoux d'une aïeule, 12
Sans m'avoir jamais vu, m'attend. 8
5 Elle est pieuse et sage, elle dit ses prières 12
Tous les soirs et tous les matins, 8
Et ne livre jamais aux doigts des chambrières 12
Ses modestes cheveux châtains. 8
Quelquefois, le dimanche, en robe étroite et grise, 12
10 Elle sort au bras d'un vieillard, 8
Laissant errer la vague extase et la surprise 12
Innocente de son regard. 8
Et les oisifs n'ont point de pensers d'infamies 12
Devant ses yeux calmes et doux, 8
15 Lorsque dans les jardins, chez les fleurs, ses amies, 12
Elle arrive à ses rendez-vous. 8
Elle est ainsi, n'aimant que les choses fleuries, 12
Préférant, pour passer le soir, 8
Les patients travaux de ses tapisseries 12
20 Aux sourires de son miroir. 8
Elle a le charme exquis de tout ce qui s'ignore, 12
Elle est blanche, elle a dix-sept ans, 8
Elle rayonne, elle a la clarté de l'aurore 12
Comme elle a l'âge du printemps. 8
25 Les heures des longs jours pour elle passent brèves, 12
Et, s'exhalant comme un parfum, 8
Elle voit chaque nuit des blancheurs dans ses rêves, 12
Et toute sa vie en est un. 8
Telle elle est, ou du moins je la devine telle, 12
30 Lys candide, cygne ingénu. 8
Je la cherche, et bientôt, quand j'aurai dit : « C'est elle ! » 12
Quand elle m'aura reconnu, 8
Je veux lui donner tout, ma vie et ma pensée, 12
Ma gloire et mon orgueil, et veux 8
35 Choisir, pour la nommer enfin ma fiancée, 12
Une nuit propice aux aveux. 8
Elle viendra s'asseoir sur un vieux banc de pierre, 12
Au fond du parc inexploré, 8
Et me regardera sans baisser la paupière, 12
40 Et moi, je m'agenouillerai. 8
Doucement dans mes mains je presserai les siennes 12
Comme on tient des oiseaux captifs, 8
Et je lui conterai des choses très anciennes, 12
Les choses des cœurs primitifs. 8
45 Elle m'écoutera, pensive et sans rien dire, 12
Mais fixant sur moi ses grands yeux, 8
Avec tout ce qu'on peut mettre dans un sourire 12
D'amour pur et religieux. 8
Et ses yeux me diront, éloquences muettes, 12
50 Ce que disent à demi-voix 8
Les amants dont on voit les claires silhouettes 12
Blanchir l'obscurité des bois. 8
Et sans bruit, pour que seul, oh ! seul, je puisse entendre 12
L'ineffable vibration, 8
55 Jusqu'à moi son baiser descendra, grave et tendre 12
Comme une bénédiction. 8
Et quand elle aura, pure, à ma coupable lèvre 12
Donné le baiser baptismal, 8
Sans doute je pourrai guérir enfin ma fièvre 12
60 Et t'expulser, regret du mal. 8
Oui, bien qu'autour de moi plane toujours et rôde 12
L'épouvante de mon passé, 8
Que mon lit garde encor ta place toute chaude, 12
O désir vainement chassé, 8
65 Je pourrai, je pourrai, Nixe horrible, Sirène, 12
Secouer enfin la langueur 8
De mes sens et purger, ô femme, la gangrène 12
Dont tu m'as saturé le cœur, 8
Ainsi que fait du fard brûlant dont il se grime 12
70 L'histrion chanteur d'opéras, 8
Ou comme un spadassin essuie, après le crime, 12
L'épée atroce sous son bras ! 8
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