Métrique en Ligne
COP_7/COP188
François COPPÉE
LE RELIQUAIRE
1866
VERS LE PASSÉ
Longuement poursuivi par le spleen détesté, 12
Quand je vais dans les champs, par les beaux soirs d'été, 12
Au grand air rafraîchir mes tempes, 8
Je ris de voir, le long des bois, les fiancés 12
5 Cheminer lentement, deux par deux, enlacés 12
Comme dans les vieilles estampes. 8
Car je dédaigne enfin les baisers puérils 12
Et la foi des seize ans, fleur brève des avrils, 12
Éphémère duvet des pêches, 8
10 Qui fait qu'on se contente et qu'on est trop heureux, 12
Si la femme qu'on aime a les bras amoureux, 12
L'âme neuve et les lèvres fraîches. 8
Elle est évanouie à jamais, la candeur 12
Qui fait que l'on s'éprend d'un petit air boudeur 12
15 Qui n'est bien qu'à travers le voile, 8
Et qu'on n'a pas de mots assez ambitieux 12
Pour dire à ses amis qu'elle a de jolis yeux 12
Couleur de bleuet et d'étoile. 8
Et c'est la fin. Mon cœur, quitté des anciens vœux, 12
20 Ne saura plus le charme infini des aveux 12
Et ce bonheur qui vous inonde, 8
Parce qu'un soir de mai, dans les bois, à Meudon, 12
Sur votre épaule avec un geste d'abandon 12
Elle a posé sa tête blonde. 8
25 Et pourtant j'ai connu tout cela ; j'ai connu 12
Même ces doux projets de bonheur ingénu 12
Dont l'âme si bien s'accommode : 8
L'hiver, le coin du feu, la chambre aux sourds tapis, 12
Et, dans un frais berceau, deux enfants assoupis 12
30 Auprès de leur mère qui brode. 8
Mais cet espoir, hélas ! d'un avenir doré, 12
Ces apparitions, ces rêves ont duré 12
Le temps d'une aube boréale, 8
Et mon esprit partit aux pays fabuleux 12
35 Où l'on pense cueillir les camélias bleus 12
Et trouver l'amour idéale. 8
Là, j'ai beaucoup souffert, et j'en reviens meurtri. 12
En d'indignes plaisirs à jamais j'ai flétri 12
Les saintes blancheurs de mon âme. 8
40 Je reviens du rivage où j'avais émigré, 12
Et j'ai le front très pâle ; et cependant, malgré 12
Ce que j'ai souffert par la femme, 8
Malgré ce cœur brisé, sans espoir et sans foi, 12
Ces débauches qu'on fait à la fin malgré soi 12
45 Comme de hideuses besognes, 8
Sans cesse je retourne à mon passé riant, 12
Ainsi qu'aux premiers froids toujours vers l'Orient 12
Reviennent les blanches cigognes. 8
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