Métrique en Ligne
COP_5/COP96
François COPPÉE
Sonnets intimes et Poèmes inédits
1925
PREMIÈRE PARTIE
LE PASSANT
Sous le bandeau trop lourd pour son front de seize ans, 12
Assise sur un trône aux longs rideaux pesants 12
Où l’orgueil brodé d’or des blasons s’écartèle, 12
Couverte de lampas et d’antique dentelle, 12
5 Blanche aux longs cheveux noirs, ayant dans ses yeux noirs 12
L’éclat resplendissant de l’étoile des soirs, 12
Et triste doucement, se tient la jeune reine 12
Par la naissance et par la beauté souveraine. 12
La fenêtre est ouverte, et, splendide décor, 12
10 Elle voit des forêts où résonne le cor, 12
Des donjons sur des rocs plus hauts que les orages, 12
Des vals et des coteaux aux riches pâturages, 12
Tout un royaume libre et fort par le travail. 12
Dans le cadre borné que forme le vitrail 12
15 Et qu’entoure un frisson de fraîches giroflées, 12
Elle voit des vaisseaux aux voilures gonflées 12
Qui remontent le fleuve et de lourds galions 12
Dont le ventre bombé crève de millions. 12
Elle n’y pense pas, elle rêve, elle écoute 12
20 Le zéphyr — Elle voit défiler sur la route 12
Les bataillons touffus de ses pertuisaniers 12
Chamarrés d’or de pied en cap par ses deniers. 12
Elle rêve, et sa tête adorable s’incline. 12
Et là-bas, descendant de la verte colline, 12
25 Précédé par un bruit de lointaines chansons, 12
Pensif et s’arrêtant pour cueillir aux buissons 12
Des lianes dont il adorne sa guitare, 12
Un pâle et maigre enfant à l’allure bizarre 12
S’approche et voit la reine assise en son château. 12
30 Celle-ci l’aperçoit qui descend du coteau. 12
Étonnée, elle tend son svelte cou de cygne 12
Et de sa main exquise elle lui fait un signe. 12
Il monte, tout tremblant déjà d’un vague émoi, 12
Et la reine lui dit : « Chante et divertis-moi. » 12
35 Et le petit chanteur, tout fier au fond de l’âme, 12
Prélude ; mais soudain, en voyant cette femme 12
Si belle lui sourire et le considérer, 12
Il jette au loin son luth et se met à pleurer. 12
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