DEUXIÈME PARTIE |
ULTIMA VERBA |
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BIEN que raclant encor de la guitare, |
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J’ai la moitié d’un siècle, c’est bien clair. |
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Je tousse trop, cela tourne au catarrhe, |
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Et suis, hélas ! lorsque revient l’hiver, |
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A la merci du moindre courant d’air. |
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Plus d’une place en ma bouche est vacante. |
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Je m’alourdis ; ma halte est plus fréquente, |
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Lorsque je fais les chemins coutumiers. |
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Et la jeunesse à cinquante ans — cinquante ! — |
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C’est seulement pour les jeunes-premiers. |
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L’âge m’est dur, bien que je m’y résigne. |
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Je blanchis peu, ce qui n’est point normal. |
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Des cheveux gris peut-être suis-je indigne ? |
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En moi pourtant s’affaiblit l’animal. |
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Je m’endors tard et je digère mal. |
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J’ai bien toujours une petite amie, |
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Mais c’est avec beaucoup d’économie |
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Que je lui prouve encor mon sentiment. |
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Je me sens vieux, même à l’Académie. |
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Si je faisais un peu mon testament. |
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On n’en meurt pas. Et puis, la mort ? J’y pense |
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D’un ferme cœur et sans jamais frémir. |
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C’est le repos et c’est la récompense |
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Du malheureux fatigué de gémir. |
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Hamlet a bien raison : « Mourir ! Dormir ! » |
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Le bonheur même à la fin nous dégoûte. |
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Des jeunes gens tombés à moitié route, |
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Les Grecs disaient : Ils sont aimés des Dieux ! » |
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Quant au terrible au-delà qu’on redoute, |
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J’en suis certain, ce n’est rien ou c’est mieux. |
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Si ce n’est rien, tout est dit. Mais j’espère |
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En ce Dieu bon, que, priant à deux mains, |
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Petit enfant, j’appelais : « Notre Père ! » |
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Il doit donner de meilleurs lendemains |
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Au triste sort subi par les humains. |
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Je ne sais pas si la mort les délivre, |
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Mais aucun d’eux ne demandait à vivre ; |
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C’est dans les pleurs que tous ont vu le jour ; |
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Et, dans l’étroit sentier qu’il leur faut suivre, |
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Que trouvent-ils de bon qu’un peu d’amour ? |
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Il est couvert d’impénétrables voiles, |
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Le grand mystère entrevu, chaque soir, |
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Dans l’effrayant abîme plein d’étoiles. |
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Nul ne sait rien, nul ne peut rien savoir. |
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Mais, malgré tout, je m’obstine à l’espoir. |
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Quant à l’effroi d’un éternel supplice, |
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Qu’un front chargé de génie en pâlisse |
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Et qu’un Pascal — j’y songe avec stupeur — |
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Craignant l’Enfer, meure sous le cilice, |
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C’est trop absurde, et je n’en ai pas peur. |
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Non, de révolte, au contraire, je vibre. |
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Pour mériter un pareil châtiment, |
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L’homme est-il donc coupable ! Il n’est pas libre. |
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Car ses instincts et son tempérament |
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Le font esclave ; et le dogme nous ment. |
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Le Jéhovah qui brûle les Sodomes |
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Est responsable autant que nous le sommes, |
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Si notre crime est, d’abord, d’être nés ; |
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Devant un Dieu juste et bon, tous les hommes |
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Sont innocents ou, du moins, pardonnés. |
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J’espère en Dieu, je me moque du Diable. |
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Devant la Mort debout dans mes rideaux, |
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Tout au rebours du pauvre de la fable, |
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Je la prierai de décharger mon dos |
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Du poids des ans et de tant de fardeaux. |
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Dans peu de jours, demain, ce soir, — qu’importe ? — |
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Son maigre doigt peut frapper à ma porte ; |
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Ma malle est faite et je suis préparé. |
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Donc, pour un bon testament, qu’on m’apporte |
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De l’encre fraîche et du papier timbré. |
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Réglons d’abord mon convoi. Je souhaite |
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Qu’on le remarque à peine en son parcours. |
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Car je n’eus pas d’orgueil, quoique poète. |
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Donc, mes amis, ni soldats ni tambours. |
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Nul apparat. Surtout point de discours. |
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Point d’orateur prenant le ton d’un prône |
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Et pleurnichant à froid — comme on rit jaune. |
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Si Maria vient me voir enterrer, |
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Tous ces vains mots — je sais ce qu’en vaut l’aune — |
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M’empêcheraient de l’entendre pleurer. |
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Mais, dans la glaise avant que je m’enlize |
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Sous un tombeau bien scellé de béton, |
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Menez, amis, mon cercueil à l’église. |
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N’y pas aller est de trop mauvais ton ; |
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Et puis, qui sait ! peut-être y priera-t-on ? |
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Comme il est dur de croire décevante |
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Une prière ingénue et fervente ! |
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Si jusqu’au Ciel tout de même elle allait ?- |
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Il me plaira que ma vieille servante |
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Pour mon repos dise son chapelet. |
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