Métrique en Ligne
COP_3/COP77
François COPPÉE
LE CAHIER ROUGE
1874
A un lilas
Je vois fleurir, assis à ma fenêtre, 10
L'humble lilas de mon petit jardin, 10
Et son subtil arôme qui pénètre 10
Vient jusqu'à moi dans le vent du matin. 10
5 Mais je suis plein d'une colère injuste, 10
Car ma maîtresse a cessé de m'aimer, 10
Et je reproche à l'innocent arbuste 10
D'épanouir ses fleurs et d'embaumer. 10
Tout enivré de soleil et de brise, 10
10 Ce favori radieux du printemps, 10
Pourquoi fait-il à mon cœur qui se brise 10
Monter ainsi ses parfums insultants ? 10
Ne sait-il pas que j'ai cueilli pour elle 10
Les seuls rameaux dont il soit éclairci ? 10
15 Est-ce pour lui chose si naturelle 10
Qu'en plein avril elle me laisse ainsi ? 10
— Mais non, j'ai tort, car j'aime ma souffrance. 10
A nos amours jadis tu te mêlas ; 10
Au jardin vert, couleur de l'espérance, 10
20 Fleuris longtemps, frêle et charmant lilas ! 10
Les doux matins qu'embaume ton haleine, 10
Les clairs matins du printemps sont si courts ! 10
Laisse-moi croire, encore une semaine, 10
Qu'on ne m'a pas délaissé pour toujours. 10
25 Et si, malgré mes espoirs pleins d'alarmes, 10
Je ne dois plus avoir la volupté 10
De reposer mes yeux brûlés de larmes 10
Sur la fraîcheur de sa robe d'été ; 10
Si je ne dois plus revoir l'infidèle, 10
30 J'y penserai, tant que tu voudras bien, 10
Devant ces fleurs qui me virent près d'elle, 10
Dans ce parfum qui rappelle le sien. 10
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