Métrique en Ligne
COP_3/COP75
François COPPÉE
LE CAHIER ROUGE
1874
Prologue
d'une série de causeries en vers
Bonjour, lecteurs. On me propose 8
Et j'accepte — oh ! les étourdis ! — 8
De vous parler tous les lundis 8
Et même pas toujours en prose. 8
5 La causerie est cependant 8
Chose insaisissable et légère 8
Ainsi que l'ombre passagère 8
D'un nuage sur un étang. 8
Causer en vers, c'est l'art suprême ; 8
10 Et, pour m'apprendre mon état, 8
Il faudrait qu'on ressuscitât 8
Le pauvre grand Musset lui-même. 8
Je crains fort de n'être pas bon 8
A vous inventer ces chimères 8
15 Radieuses, mais éphémères 8
Comme les bulles de savon ; 8
A vous rimer des amusettes 8
Sur des sujets de presque rien, 8
Avec l'art du galérien 8
20 Qui sculpte au couteau des noisettes. 8
— Mais, bah ! j'ai l'horreur du banal 8
Et le difficile me tente. 8
J'éprouve une envie irritante 8
D'écrire en vers dans un journal. 8
25 Et d'ailleurs mon rêve impossible, 8
Je l'ai souvent réalisé ; 8
Sans que mon regard ait visé, 8
J'ai quelquefois touché la cible. 8
J'irai chercher, je ne sais où, 8
30 Des conversations frivoles ; 8
Je vous dirai des choses folles, 8
Car je suis moi-même un peu fou. 8
Ayant le ciel bleu pour auberge, 8
Je vis comme un petit oiseau, 8
35 Et Mab m'a prêté son fuseau 8
A filer le fil de la vierge. 8
Je fais de la dépense, et c'est 8
Royalement que je la paie, 8
Car le poète a pour monnaie 8
40 Des étoiles dans son gousset. 8
L'aile et le parfum étant choses 8
Qu'il faut que nous réunissions, 8
J'ai découvert des papillons 8
Qui sentaient bon comme des roses. 8
45 Les plus beaux décors d'opéra 8
Me semblent mesquins et timides ; 8
Quand j'irai voir les Pyramides, 8
Je veux qu'il neige. Il neigera. 8
Parfois la lune me fait signe ; 8
50 Mais aller là-haut, c'est trop long. 8
Si je jouais du violon 8
Je noterais le chant du cygne. 8
— Je vous dirai sur mon chemin 8
Ce qui m'intéresse ou me charme, 8
55 Et même d'où vient cette larme 8
Qui tombe parfois sur ma main. 8
De cet entretien de poète 8
Vous ne serez jamais plus las 8
Que n'est un rameau de lilas 8
60 De la halte d'une fauvette ; 8
Et quand vous y lirez l'aveu 8
D'une bonne pensée intime, 8
Vous me donnerez votre estime 8
Et m'aimerez peut-être un peu. 8
65 — Mais voici ma préface faite. 8
Au revoir, car j'ai mérité 8
De finir ma tasse de thé, 8
En fumant une cigarette. 8
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