Métrique en Ligne
COP_3/COP59
François COPPÉE
LE CAHIER ROUGE
1874
Aux bains de mer
SUR la plage élégante au sable de velours 12
Que frappent, réguliers et calmes, les flots lourds, 12
Tels que des vers pompeux aux nobles hémistiches, 12
Les enfants des baigneurs oisifs, les enfants riches, 12
5 Qui viennent des hôtels voisins et des chalets, 12
La jaquette troussée au-dessus des mollets, 12
Courent, les pieds dans l'eau, jouant avec la lame. 12
Le rire dans les yeux et le bonheur dans l'âme, 12
Sains et superbes sous leurs habits étoffés 12
10 Et d'un mignon chapeau de matelot coiffés, 12
Ces beaux enfants gâtés, ainsi qu'on les appelle, 12
Creusent gaîment, avec une petite pelle, 12
Dans le fin sable d'or des canaux et des trous ; 12
Et ce même Océan, qui peut dans son courroux 12
15 Broyer sur les récifs les grands steamers de cuivre, 12
Laisse, indulgent aïeul, son flot docile suivre 12
Le chemin que lui trace un caprice d'enfant. 12
Ils sont là, l'œil ravi, les cheveux blonds au vent, 12
Non loin d'une maman brodant sous son ombrelle, 12
20 Et trouvent, à coup sûr, chose bien naturelle, 12
Que la mer soit si bonne et les amuse ainsi. 12
— Soudain, d'autres enfants, pieds nus comme ceux-ci, 12
Et laissant monter l'eau sur leurs jambes bien faites, 12
Des moussaillons du port, des pêcheurs de crevettes, 12
25 Passent, le cou tendu sous le poids des paniers. 12
Ce sont les fils des gens du peuple, les derniers 12
Des pauvres, et le sort leur fit rude la vie. 12
Mais ils vont, sérieux, sans un regard d'envie 12
Pour ces jolis babys et les plaisirs qu'ils ont. 12
30 Comme de courageux petits marins qu'ils sont, 12
Ils aiment leur métier pénible et salutaire 12
Et ne jalousent point les heureux de la terre ; 12
Car ils savent combien maternelle est la mer 12
Et que pour eux aussi souffle le vent amer 12
35 Qui rend robuste et belle, en lui baisant la joue, 12
L'enfance qui travaille et l'enfance qui joue. 12
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