Métrique en Ligne
COP_2/COP36
François COPPÉE
POÈMES MODERNES
1867-1869
Enfants Trouvées
I
Dans les promenades publiques, 8
Les beaux dimanches, on peut voir 8
Passer, troupes mélancoliques, 8
Des petites filles en noir. 8
5 De loin, on croit des hirondelles : 8
Robes sombres et grands cols blancs ; 8
Et le vent met des frissons d'ailes 8
Dans les légers camails tremblants. 8
Mais quand, plus près des écolières, 8
10 On les voit se parler tout bas, 8
On songe aux étroites volières 8
Où les oiseaux ne chantent pas. 8
Près d'une sœur, qui les surveille 8
En dépêchant son chapelet, 8
15 Deux par deux, en bonnet de vieille, 8
Et les mains sous le mantelet, 8
Les cils baissés, tristes et laides, 8
Le front ignorant du baiser, 8
Elles vont voir, pauvres cœurs tièdes, 8
20 Les autres enfants s'amuser. 8
Les petites vont les premières ; 8
Mais leur regard discipliné 8
A perdu ses vives lumières 8
Et son bel azur étonné. 8
25 Les pieuses et les savantes 8
Ont un maintien plus glacial ; 8
Toutes ont des mains de servantes, 8
L'œil sournois et l'air trivial. 8
Car ces êtres sont de la race 8
30 Du vice et de la pauvreté, 8
Qui font les enfances sans grâce 8
Et les tristesses sans beauté. 8
II
Les berceaux ont leurs destinées ! 8
Et vous ne les avez pas vus, 8
35 Les fronts de mères inclinées 8
Comme la Vierge sur Jésus. 8
Vos sombres âmes stupéfaites, 8
Enfants, ne se rappellent pas 8
La chambre joyeuse, les fêtes 8
40 Du premier cri, du premier pas, 8
La gambade faite en chemise 8
Sur le tapis, devant le feu, 8
La gaîté bruyante et permise, 8
Et l'aïeule qui gronde un peu. 8
45 — Pourtant ce qui vous fait, si jeunes, 8
Pareilles aux fleurs des prisons, 8
Ce ne sont ni les rudes jeûnes, 8
Ni les pénibles oraisons : 8
Ces graves filles, vos maîtresses, 8
50 Vous pouvez leur dire : « Ma sœur ! » 8
Sans amour tendre ni caresses, 8
Elles ont du moins la douceur ; 8
Une de ces vierges chrétiennes 8
Joint tous les jours, souvenez-vous, 8
55 Vos petites mains sous les siennes, 8
En vous tenant sur ses genoux ; 8
Et sa voix, bonne et familière, 8
Vous fait répéter chaque soir 8
Une belle et longue prière 8
60 Qui parle d'amour et d'espoir. 8
III
Sombres enfants qui, sur ma route, 8
Allez, le front lourd et baissé, 8
Je crains que vous n'ayez le doute 8
Effrayant de votre passé ; 8
65 Que dans votre âme obscure, où monte 8
Le flot des vagues questions, 8
Vous ne sentiez frémir la honte, 8
Source des malédictions ; 8
Et que, par lueurs éphémères, 8
70 Votre esprit ne cherche à savoir 8
Si vraiment sont mortes vos mères, 8
Pour qu'on vous habille de noir ! 8
— Si ce doute est votre souffrance, 8
Ah ! que pour toujours le couvent 8
75 Dans la plus étroite ignorance 8
Mure votre cœur tout vivant ! 8
Que par les niaises pratiques 8
Et les dévotions d'autel, 8
Par le chant des fades cantiques 8
80 Et la lecture du missel, 8
Par la fatigue du cilice, 8
Par le chapelet récité, 8
A ce point votre âme s'emplisse 8
D'enfantine crédulité, 8
85 Que, ployant sous les disciplines 8
Et mortes avant le cercueil, 8
Vous vous sentiez bien orphelines 8
En voyant vos habits de deuil ! 8
logo du CRISCO logo de l'université