Métrique en Ligne
COP_10/COP217
corpus Pamela Puntel
François COPPÉE
FAIS CE QUE DOIS
ÉPISODE DRAMATIQUE EN UN ACTE, EN VERS
1871
FAIS CE QUE DOIS
ÉPISODE DRAMATIQUE EN UN ACTE, EN VERS
Représentée pour la première fois
sur le théâtre de l’Odéon le 21 octobre 1871
PERSONNAGES
DANIEL, maître d’école. M. Dumaine
MARTHE, veuve d’un officier. Mlle Sarah Bernhardt
HENRI, son jeune fils. Mlle Jeanne Bernhardt
Dans un port de mer en 1871.
La terrasse d’un hôtel meublé, dans un port. Au fond, par une galerie à jour on aperçoit des mâts de navire et l’horizon de la mer. — Au lever du rideau, Marthe en grand deuil, est assise. Son fils Henri garçon de quatorze ans environ, en deuil aussi, se tient debout auprès d’elle.
SCÈNE PREMIÈRE
MARTHE, HENRI
HENRI.
Ainsi nous émigrons.
MARTHE.
Oui, nous quittons la France.
HENRI.
Voyager, quel bonheur !
MARTHE.
C’est assez de souffrance.
Ces quelques mois me font plus vieille de dix ans. 12
Nous avons des moyens de vivre suffisants, 12
5 Et nous nous embarquons, ce soir, pour l’Amérique. 12
Non, je ne forme pas un espoir chimérique 12
En croyant que là-bas tu feras ton chemin. 12
Mais ici, j’ai vraiment trop peur du lendemain 12
Nous partons.
HENRI.
Tu seras heureuse ?
MARTHE.
Je l’espère.
L’enfant s’éloigne et va regarder l’Océan ; elle le suit des yeux.
10 Cette guerre maudite ! elle m’a pris ton père, 12
Et je ne connais pas l’endroit de son tombeau. 12
Et toi, mon bien-aimé, toi, si pur et si beau, 12
On te réserverait la même destinée. 12
— O France que j’aimais, patrie où je suis née, 12
15 Dont le langage est doux à mes lèvres toujours, 12
Car enfin c’est celui de mes jeunes amours 12
Et celui dans lequel ce fils m’a dit : Ma mère, 12
Hélas ! je devais donc t’accuser d’être amère, 12
Trouver ton ciel funeste et ton air étouffant. 12
20 Mais tu m’as faite veuve, et je n’ai qu’un enfant. 12
HENRI.
Comme c’est beau, la mer ! et comme un long voyage, 12
Ce doit être amusant. Mais vois donc ce nuage 12
De fumée et ce grand vaisseau.
MARTHE.
C’est un steamer
Qui revient de là-bas.
HENRI.
Comme c’est beau la mer !
25 Tantôt, maman, j’ai vu notre trois-mâts qu’on charge. 12
Un matelot disait : Le vent souffle du large. 12
Cela faisait flotter, ainsi que des rubans, 12
Les joyeux pavillons pavoisant les haubans. 12
Un mulâtre, tout noir sous la blancheur du linge, 12
30 Passait ; un petit mousse, agile comme un singe, 12
Descendait d’une vergue, et, tout le long des quais, 12
Au milieu des ballots, des fruits, des perroquets, 12
De l’odeur du goudron et du frisson des voiles, 12
Enchanté, je lisais, peints en noir sur des toiles, 12
35 Ces noms clairs et légers comme des cris d’oiseau : 12
Le Brésil, la Plata, Lima, Valparaiso. 12
Oh ! partir sur la mer ! — Et puis j’ai du courage. 12
J’ai réfléchi, Tant pis si nous faisons naufrage. 12
Comment ! J’aimerais mieux que la mer écumât, 12
40 Car je te sauverais sur un débris de mât. 12
Je sais mon Robinson par cœur. Que tu e veuilles 12
Ou non, je te ferais une maison de feuilles, 12
Sur une plage d’or, devant les flots nombreux, 12
Et là nous resterions tout seuls et très-heureux, 12
45 Bien plus, chère maman, qu’ici nous ne le sommes ; 12
Car ne te vois-je pas triste parmi les hommes ? 12
MARTHE.
Enfant !
A part.
Comme à cet âge on sait vite oublier !
Haut.
Allons ! va voir un peu jusqu’à notre voilier ; 12
Je crains que l’on n’ait pas inscrit notre passage. 12
HENRI.
J’y cours.
MARTHE.
50 Embrasse-moi, mon mignon, et sois sage.
Henri l’embrasse et sort.
SCÈNE II
MARTHE.
Non, si je n’étais pas heureuse dans l’exil, 12
Du moins ce pauvre cher petit le sera-t-il. 12
La patrie, après tout, un préjugé vulgaire, 12
Qui me prendrait cet ange à la prochaine guerre 12
55 Et qui le jetterait en pâture au canon. 12
Et cependant, ô France ! il prononçait ton nom, 12
Ce héros que j’aimais, tombé dans la mêlée. 12
—Mon Dieu, s’il pouvait voir que je m’en suis allée 12
Du village de France où nous fûmes heureux, 12
60 Et qu’en deuil, à travers le monde aventureux, 12
J’emmène son enfant pour tenter la fortune ; 12
Si tout sanglant… Ce songe horrible m’importune. 12
Mais je suis mère, et j’ai bien fait comme je fis. 12
Je n’ai d’autre devoir que de sauver mon fils. 12
65 Mon âme interrogée a confiance en elle ; 12
Elle doit écouter sa crainte maternelle. 12
Tout autre sentiment dans mon cœur est tari. 12
Daniel parait au fond.
Ah ! Daniel le vieil ami de mon mari. 12
SCÈNE III
MARTHE, DANIEL
DANIEL.
Vous partez ?
MARTHE.
Ce soir même.
DANIEL.
Et l’enfant ?
MARTHE.
M’accompagne.
DANIEL.
70 Écoutez. Dans la pauvre école de campagne 12
Où j’apprends l’alphabet aux petits paysans, 12
Je n’ai là que des cœurs bons et peu médisants ; 12
Mais lorsqu’ils ont appris que, pour un long voyage, 12
Avec leur jeune ami vous quittiez le village, 12
75 Que, devant l’avenir sombre et plein de danger, 12
Leur petit compagnon fuyait à l’étranger, 12
O MARTHE. ils ont trouvé le mot qui déconcerte 12
Et, comme d’un soldat, ils ont dit : Il déserte. 12
MARTHE.
Mon ami…
DANIEL.
Votre fils, c’est vrai, n’est qu’un enfant,
80 Vous disposez de lui ; mais l’honneur vous défend 12
De l’entraîner si loin, avant qu’il y consente. 12
Avez-vous éclairé sa jeune âme innocente ? 12
De vous, pauvre affolée, a-t-il bien pu savoir 12
Ce qu’est une patrie et quel est son devoir ? 12
85 Connaît-il cette guerre infâme et notre haine ? 12
Sait-il qu’on nous a pris l’Alsace et la Lorraine, 12
Que Metz et que Strasbourg ont dû courber leurs fronts 12
Sous le joug allemand, et que nous en souffrons 12
Comme un soldat, pendant sa vieillesse attristée, 12
90 Souffre encor dans sa jambe autrefois amputée ? 12
Sait-il que dans nos mains on a brisé le fer 12
Et sait-il que son père est mort à Frœschwiller ? 12
MARTHE.
Oui, mais il sait encore et surtout que je l’aime, 12
Qu’il est toute ma vie et mon espoir suprême, 12
95 Et, s’il fallait le perdre enfin, que j’en mourrais. 12
DANIEL.
Marthe !
MARTHE.
Rappelez-vous le soir où je pleurais,
Près de vous, au début de l’affreuse campagne, 12
Lorsque cet officier, captif en Allemagne, 12
M’envoya cette croix d’honneur de mon mari 12
100 Et ces mots par lesquels je sais qu’il a péri. 12
Rappelez-vous. C’était une nuit de septembre. 12
M’agenouillant alors du côté de la chambre 12
Où se trouvait le lit de mon fils endormi, 12
ardemment j’ai prié devant vous, mon ami, 12
105 Disant : — Conservez-le, Seigneur plein d’indulgence, 12
Pour mon amour.
DANIEL.
Et j’ai songé : Pour la vengeance.
O Marthe au nom du sang, au nom des pleurs versés… 12
MARTHE.
Non. La France m’a pris mon époux ; c’est assez. 12
DANIEL.
Vous ne pouvez partir.
MARTHE.
Dès ce soir, je l’emmène.
DANIEL.
Lâcheté !
MARTHE.
110 Je n’ai pas l’âme d’une Romaine.
DANIEL.
Mais vous regretterez demain ce moment-ci. 12
MARTHE.
Je suis mère.
DANIEL.
La France est une mère aussi.
MARTHE.
Une mère qui veut quoi s’égorge pour elle. 12
DANIEL.
Nous lui devons nos bras pour venger sa querelle. 12
MARTHE.
115 Et vous vous déchirez entre vous aujourd’hui 12
DANIEL.
Oh ! Marthe ! votre époux vous entend !
MARTHE.
Oui, c’est lui
Dont la voix dit : — Va t’en ! tout bas à mon oreille 12
DANIEL.
Vous blasphémez !
SCÈNE IV
MARTHE, DANIEL, HENRI
HENRI.
Maman, le navire appareille,
Et ses voiles déjà palpitent dans le ciel. 12
120 Partons vite, partons !… Ah ! monsieur DANIEL. 12
DANIEL.
Henri…
MARTHE.
N’écoute pas cet homme, il va te dire,
Enfant, qu’il ne faut pas monter sur ce navire. 12
Il va t’épouvanter du voyage lointain, 12
Des dangers inconnus et du but incertain. 12
125 Puis il prononcera bien haut le nom de France ; 12
Il voudra re donner sa menteuse espérance. 12
Il prédira des temps meilleurs, des jours plus beaux, 12
Un souffle glorieux passant dans les drapeaux 12
Et les joyeux soldats, marchant à la frontière. 12
130 N’écoute pas cet homme, enfant ! ta vie entière, 12
Il la sacrifierait à son rêve trompeur. 12
Il fera résonner les grands mots qui font peur, 12
Évoquant le passé sombre et les morts eux-mêmes ! 12
— Enfant, n’écoute pas cet homme, si tu m’aimes. 12
DANIEL.
135 Marthe vous vous trompez, et je ne doute pas 12
Du calme et vrai bonheur qui vous attend là-bas. 12
Vous me connaissez trop pour croire que je mente. 12
Partez. Le ciel est pur et la mer et clémente. 12
Vous avez le bon vent et le flot régulier. 12
140 Partez. Le Nouveau Monde, au sol hospitalier, 12
Où vous irez, conduits par la brise docile, 12
Vous garde ses déserts immenses pour asile, 12
Qui, dans la solitude, au soleil assoupis, 12
N’attendent qu’un colon pour se charger d’épis, 12
145 Et ses plaines sans fin et jamais parcourues 12
Où l’on trouve de l’or au sillon des charrues. 12
C'est là qu'est le bonheur. Aussi je vous le dis 12
Partez. Vous trouverez là-bas un paradis. 12
— Pour un homme pratique, et qui compte, et qui s’aime, 12
150 La patrie est le champ qu’on laboure et qu’on sème, 12
Et c’est un sentiment très-stupide et très-vieux 12
De s’attacher au sol où dorment les aïeux. 12
Et puis, que quittez-vous ? Une France frappée, 12
Qui saigne en s’appuyant sur un tronçon d’épée. 12
155 Fuyez. Vous resterez ici dans un enfer. 12
Avec une profonde tristesse.
Nous sommes arrivés à notre âge de fer, 12
Et ce pays descend une fatale pente. 12
Espérer qu’il s’arrête un jour et se repente, 12
Nourrir cette sublime et folle illusion 12
160 Qu’il redevienne encor la grande nation, 12
Qu’il se relève enfin, je ne lose plus guère. 12
Hélas ! ce que j’ai vu dans la dernière guerre 12
M’a souvent fait penser que j’avais trop vécu, 12
Et, dusse-je irriter ta rage de vaincu, 12
165 Peuple qui dans l’orgueil et le mal persévères, 12
Tes fils sauront de moi les vérités sévères. 12
Oui, lorsque dans l’école ils viendront se ranger 12
Et sur nos grands malheurs d’hier m’interroger, 12
Il faudra que leur maître accablé leur raconte 12
170 Qu’il a pleuré du sang et sué de la honte. 12
Il faudra qu’il distingue, en sa ferme équité, 12
De ce qui fut fatal, ce qui fut mérité ; 12
Qu’il leur dise quel vent d’incroyable folie 12
Souffla pendant six mois sur la France envahie ; 12
175 Ces chefs et ces soldats se jetant sans raison 12
Le mot de lâcheté, le mot de trahison ; 12
Les factieux, malgré le danger de la ville, 12
Réservant leurs fusils pour la guerre civile, 12
Les aboiements des clubs, les efforts des partis 12
180 Par le malheur public à peine ralentis, 12
La foule se grisant de journaux et d’affiches, 12
La chasse aux croix d’honneur, des gens devenus riches 12
En volant sur le pain et l’habit du soldat ; 12
Et, dernier déshonneur et suprême attentat ! 12
185 A l’heure de profond désespoir et de larmes 12
Où Paris épuisé dut déposer les armes, 12
A l’heure où, sous ses murs, ceux qui l’avaient vaincu, 12
Tristes que le géant eût encor survécu, 12
N’osaient trop s’approcher et se disaient : Il bouge ; 12
190 L’émeute parricide et folle, au drapeau rouge, 12
L’émeute des instincts, sans patrie et sans Dieu, 12
Ensanglantant la ville et la livrant au feu, 12
Devant les joyeux toasts portés à nos ruines 12
Par cent mille Allemands debout sur les collines ! 12
HENRI.
195 O maître, finissez. Vous me faites rougir. 12
DANIEL.
Non, enfant, il est temps encor de réagir. 12
Parfois la guérison est prompte après la crise. 12
Oui, je veux appliquer le fer qui cautérise, 12
Sur le mauvais orgueil dans ces jeunes esprits. 12
200 Mais lorsque je verrais qu’ils m’ont enfin compris 12
Et qu’ils courbent le front sous ma sombre parole, 12
Alors je leur tiendrais le discours qui console. 12
— Je leur dirai qu’il fut encore des héros 12
Chez nos pauvres soldats arrachés aux hameaux, 12
205 Lorsque nous inonda cette effroyable armée ; 12
Comme on a bien souffert dans la ville affamée 12
Où pas un ne parlait de se rendre, pas un, 12
Et comme on a bien su mourir à Châteaudun ! 12
Je leur dirai comment, dans Paris qu’on assiège 12
210 Et dans les camps lointain dispersés sur la neige, 12
On lutta de son mieux et l’on fit son devoir ; 12
Comment ceux-ci voyant toujours l’horizon noir, 12
Ceux-là croyant toujours, ô France ! à ton étoile, 12
Mangèrent le pain dur, dormirent sur la toile 12
215 Et tombèrent, vaincus, mais frappés par devant ; 12
Je leur raconterai ces histoires, enfant ; 12
Je les enivrerai de haine et de souffrance, 12
Et je préparerai des vengeurs à la France. 12
HENRI.
Des vengeurs !
MARTHE.
Daniel, Daniel, songez-y.
220 Vous le savez, je n’ai que ce pauvre enfant-ci. 12
Vous savez quelle fut la mort affreuse et lente 12
De son père, couché sur la paille sanglante, 12
Au milieu des hourras vainqueurs des ennemis. 12
Vous même convenez que le doute est permis, 12
225 Que cette nation est peut-être perdue. 12
Daniel répondez. Faut-il qu’on me le tue 12
Pour un dernier effort inutile, pour rien ? 12
Oh ! je n’ai plus d’espoir !
DANIEL.
Marthe, écoutez-moi bien.
Je suis simple d’esprit et n’ai rien d’un prophète, 12
230 Et pourtant, malgré tout, malgré notre défaite, 12
Je crois que nous pouvons encore être sauvés. 12
MARTHE.
Mais un enfant ?…
DANIEL.
Enfants, c’est vous qui le pouvez.
Car pour notre revanche, hélas, trop peu certaine, 12
Nous n’osons entrevoir qu’une date lointaine. 12
235 L’œuvre doit être longue et patiente ; et nous, 12
Nous qui vous aurons fait monter sur nos genoux 12
Afin de vous parler plus près des représailles, 12
Lorsque vous partirez, enfant, pour les batailles, 12
Nos cheveux déjà gris seront tout à fait blancs, 12
240 Et nous vous bénirons avec des bras tremblants. 12
MARTHE.
Vous doutez cependant de ce pays frivole ? 12
DANIEL.
Nous le transformerons, nous, les maîtres d’école. 12
Donnez vos fils ; ils sont ardents et belliqueux. 12
Donnez. Nous sauverons la patrie avec eux. 12
— Si nous le voulons bien…
MARTHE.
245 La revanche ! Chimère !
Vain rêve, œuvre impossible !
HENRI.
Écoutons-le, ma mère.
DANIEL.
Oui, si ce peuple veut et si tout son passé 12
De folie et d’erreur est un jour effacé, 12
Si de son ignorance enfin il se délivre, 12
250 S’il apprend à choisir la parole et le livre, 12
S’il cherche le progrès logique et régulier, 12
S’il se plie à la loi, s’il sait répudier 12
La révolution dont le monde s’effraie 12
Et, prenant le chemin de la liberté vraie, 12
255 Qui n’est que le respect de soi-même et d’autrui, 12
S’il répare et maudit ses fautes d’aujourd’hui, 12
Il reprendra sa place à la tête du monde. 12
Certe, avant de fonder la paix bonne et féconde, 12
Il lui faudra combattre encore, il lui faudra 12
260 Une guerre où l’Europe entière tremblera. 12
Car il n’est pas de joug enfin qu’on ne secoue, 12
Il ne peut pas garder ce soufflet sur la joue. 12
Mais pour cette œuvre sainte il n’a qu’un seul moyen, 12
C’est de faire un soldat de chaque citoyen, 12
265 De la patrie entière une famille armée 12
Et du seul sentiment du devoir enflammée, 12
Où le riche bourgeois coudoiera l’artisan, 12
Où le noble sera l’égal du paysan. 12
Car dans le régiment la nation se mêle ; 12
270 On partage la tente, on mange à la gamelle, 12
On se voit, on se parle et l’on devient amis. 12
Et quand tous ces soldats, à de vrais chefs soumis, 12
S’estimant et montrant, dans le même service, 12
Un même dévouement, un même sacrifice, 12
275 Contents du travail fait et du fusil porté, 12
Unis par les liens de la fraternité, 12
Marcheront dans le rang, calmes, forts, sans murmure, 12
O mon pays en deuil, la chose sera mûre, 12
Et, poussant vers le ciel ton cri de conquérant, 12
280 Tu pourras les répandre alors comme un torrent, 12
Et planter, glorieux, les trois couleurs altières 12
De notre vieux drapeau sur nos vieilles frontières ! 12
MARTHE.
Et si nous succombons encore ? Si, vainqueur, 12
Le fer de l’Allemand nous entre jusqu’au cœur ? 12
285 Si Paris voit encore autour de ses murailles ?… 12
DANIEL.
Femme, nul ne connait le destin des batailles, 12
Mais s’il doit les revoir couvrir son horizon, 12
Que Paris cette fois songe à son vieux blason. 12
Avec enthousiasme.
O navire ! voilà bien longtemps que la houle 12
290 Sur le morne Océan te harcèle et te roule, 12
Et que le rude assaut des lames et des vents 12
Fait craquer ta carène et grincer tes haubans. 12
Nous t’avons vu souvent, sous l’effort de l’orage, 12
Courir vers les écueils et voler au naufrage, 12
295 O vaisseau qui du grand Paris portes le nom ! 12
Dans l’ouragan hurlant plus haut que le canon 12
Nous t’avons vu souvent t’abîmer sous la brume ; 12
Mais tu te relevais toujours, couvert d’écume, 12
Superbe et vomissant l’eau par les écubiers. 12
300 Donc, s’il faut qu’à la fin, Français, vous succombiez, 12
Dans un combat suprême, écrasés par le nombre, 12
Si Paris doit périr, si c’est bien l’heure sombre 12
D’amener pavillon ou de couler à pic, 12
Souviens-toi de Jean-Bart et de Du Couëdic, 12
305 Navire, souviens-toi de Villaret-Joyeuse ! 12
Lorsqu’après la bataille atroce et furieuse, 12
Rouge de sang, n’ayant plus de mâts, plus d’agrès, 12
Tu verras ces maudits face à face, tout près, 12
Et te jetant déjà les chaînes de l’esclave, 12
310 Meurs en volcan pour les engloutir sous ta lave, 12
Et que le monde entier convienne avec effroi, 12
Que le sort du Vengeur est seul digne de toi ! 12
HENRI.
O mère, il a raison. C’est un conseil funeste 12
Que te donnait tout bas ton désespoir.
A Daniel.
Je reste.
MARTHE.à DANIEL.
Hélas ! qu’avez-vous fait ?
DANIEL.
315 Le devoir est ici.
MARTHE.à HENRI.
Tu l’exiges de moi, cruel enfant ?
HENRI.se jetant à son cou.
Merci !
MARTHE.
Soit, je cède, et je mets au ciel mon espérance. 12
Dieu, protège mon fils !
DANIEL.
Dieu, protège la France !
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