Métrique en Ligne
COP_1/COP23
François COPPÉE
PROMENADES ET INTÉRIEURS
1872
III
Le chien perdu
Quand on rentre, le soir, par la cité déserte, 12
Regardant sur la boue humide, grasse et verte, 12
Les longs sillons du gaz tous les jours moins nombreux, 12
Souvent un chien perdu, tout crotté, morne, affreux, 12
5 Un vrai chien de faubourg, que son trop pauvre maître 12
Chassa d’un coup de pied en le pleurant peut-être, 12
Attache à vos talons obstinément son nez 12
Et vous lance un regard si vous vous retournez. 12
Quel regard ! long, craintif, tout chargé de caresse, 12
10 Touchant comme un regard de pauvre ou de maîtresse, 12
Mais sans espoir pourtant, avec cet air douteux 12
De femme dédaignée et de pauvre honteux. 12
Si vous vous arrêtez, il s’arrête, et, timide, 12
Agite faiblement sa queue au poil humide. 12
15 Sachant bien que son sort en vous est débattu, 12
Il semble dire : – Allons, emmène-moi, veux-tu ? 12
On est ému, pourtant on manque de courage ; 12
On est pauvre soi-même, on a peur de la rage, 12
Enfin, mauvais, on fait la mine de lever 12
20 Sa canne, on dit au chien : « Veux-tu bien te sauver ! » 12
Et, tout penaud, il va faire son offre à d’autres. 12
La sinistre rencontre ! et quels temps sont les nôtres ! 12
Et quel mal nous ont fait ces féroces Prussiens, 12
Que les plus pauvres gens abandonnent leurs chiens 12
25 Et que, distrait du deuil public, il faille encore 12
Plaindre ces animaux dont le regard implore ! 12
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