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Sébastien-Roch-Nicolas de CHAMFORT
ŒUVRES COMPLÈTES
(POÉSIES)
1851
ODES
LES VOLCANS
ODE
Éclaire, échauffe mon génie, 8
Muse de la terre et des cieux ; 8
Conduis-moi, sublime Uranie, 8
Vers ces abîmes pleins de feux, 8
5 De l’enfer soupiraux horribles, 8
Arsenaux profonds et terribles 8
Où, dans un cahos éternel, 8
Des élemens la sourde guerre 8
Forme, allume, lance un tonnerre 8
10 Plus affreux que celui du ciel. 8
Quels torrens épais de fumée ! 8
La terre ouverte sous mes pas 8
Vomit une cendre enflammée : 8
L’antre mugit… Dieux ! quels éclats ! 8
15 Des roches dans l’air élancées 8
Retombent, roulent, dispersées. 8
Je m’arrête glacé d’effroi… 8
Un fleuve de feu, de bitume, 8
Couvre d’une bouillante écume 8
20 Leurs débris poussés jusqu’à moi. 8
Monts altiers, voisins des orages, 8
Qui recélez dans votre sein 8
Les fleuves, enfans des nuages ; 8
Et les rendez au genre humain, 8
25 C’est dans vos cavernes profondes 8
Que du feu, de l’air et des ondes 8
Fermente la sédition. 8
Au fond de cet abîme immense 8
Je vois la nature en silence 8
30 Méditer sa destruction. 8
L’esclave qui brise la pierre, 8
Et qui cherche l’or dans vos flancs, 8
Sent les fondemens de la terre 8
S’ébranler sous ses pas tremblans. 8
35 Il palpite, écoute, frissonne ; 8
Mais le trépas en vain l’étonne, 8
La rage ranime ses sens : 8
Il pardonne au fléau terrible 8
Qui va sous un débris horrible 8
40 Écraser ses cruels tyrans. 8
Dieu ! quelle avarice intrépide ! 8
L’antre pousse un reste de feux : 8
Une foule imprudente, avide, 8
Accourt d’un pas impétueux. 8
45 Voyez-les d’une main tremblante, 8
Sous une lave encor fumante, 8
Chercher ces métaux détestés, 8
Et, sur le salpêtre et le souffre, 8
Des ruines même du gouffre, 8
50 Bâtir de superbes cités. 8
Mortel, qui du sort en colère 8
Gémis d’épuiser tous les coups, 8
Sans doute le ciel moins sévère 8
Pouvait te voir d’un œil plus doux. 8
55 Mais de la nature en furie 8
Tu surpasses la barbarie ; 8
De tes maux déplorable auteur, 8
C’est la rage qui les consomme, 8
Et l’homme est à jamais pour l’homme 8
60 Le fléau le plus destructeur. 8
Quand ce globe a craint sa ruine, 8
Quand des feux voisins des enfers 8
Grondaient de Lisbonne à la Chine 8
Et soulevaient le sein des mers, 8
65 Les assassinats de la guerre 8
Désolaient, saccageaient la terre ; 8
Vous ensanglantiez les volcans ; 8
Et vous égorgiez vos victimes 8
Sur les bords fumans des abîmes 8
70 Qui vous engloutissaient vivans. 8
Eh quoi ! tandis que je frissonne, 8
Vous allumez pour les combats 8
Ces volcans, effroi de Bellone, 8
Ces foudres cachés sous ses pas ! 8
75 Contre la terre consternée 8
Quand la nature est déchaînée, 8
Vous l’imitez dans ses horreurs ; 8
Et le plus affreux phénomène 8
Dont frémisse la race humaine 8
80 Sert de modèle à vos fureurs ! 8
Que ne puis-je, arbitre des ombres, 8
Forçant les portes du trépas, 8
Évoquer des royaumes sombres 8
Tous les morts de tous les climats ; 8
85 A chacun d’eux si j’osais dire : 8
Un Dieu t’ordonne de m’instruire 8
Qui t’a conduit au noir séjour ? 8
Presque tous, homme impitoyable ! 8
Ils répondraient : C’est mon semblable 8
90 Dont la main m’a privé du jour. 8
Ah ! jetez ces coupables armes ; 8
De vous-mêmes prenez pitié : 8
Connaissez, éprouvez les charmes 8
De l’amour et de l’amitié ! 8
95 Que la force, que la puissance, 8
Nobles soutiens de l’innocence, 8
Ne servent plus à l’opprimer. 8
Écartez la guerre inhumaine, 8
Et ne vouez plus à la haine 8
100 Le moment de vivre et d’aimer. 8
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