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Sébastien-Roch-Nicolas de CHAMFORT
ŒUVRES COMPLÈTES
(POÉSIES)
1851
ODES
LA GRANDEUR DE L’HOMME
ODE
Quand Dieu, du haut du ciel, a promené sa vue 12
Sur ces mondes divers, semés dans l’étendue, 12
Sur ces nombreux soleils, brillans de sa splendeur, 12
Il arrête les yeux sur le globe où nous sommes : 12
5 Il contemple les hommes, 6
Et dans notre âme enfin va chercher sa grandeur. 12
Apprends de lui, mortel, à respecter ton être. 12
Cet orgueil généreux n’offense point ton maître : 12
Sentir ta dignité, c’est bénir ses faveurs ; 12
10 Tu dois ce juste hommage à sa bonté suprême : 12
C’est l’oubli de toi-même 6
Qui, du sein des forfaits, fit naître tes malheurs. 12
Mon âme se transporte aux premiers jours du monde 12
Est-ce là cette terre, aujourd’hui si féconde ? 12
15 Qu’ai-je vu ? des déserts, des rochers, des forêts : 12
Ta faim demande au chêne une vile pâture ; 12
Une caverne obscure 6
Du roi de l’univers est le premier palais. 12
Tout naît, tout s’embellit sous ta main fortunée : 12
20 Ces déserts ne sont plus, et la terre étonnée 12
Voit son fertile sein ombragé de moissons. 12
Dans ces vastes cités quel pouvoir invincible 12
Dans un calme paisible 6
Des humains réunis endort les passions ? 12
25 Le commerce t’appelle au bout de l’hémisphère ; 12
L’Océan, sous tes pas, abaisse sa barrière ; 12
L’aimant, fidèle au nord, te conduit sur ses eaux ; 12
Tu sais l’art d’enchaîner l’Aquilon dans tes voiles ; 12
Tu lis sur les étoiles 6
30 Les routes que le ciel prescrit à tes vaisseaux. 12
Séparés par les mers, deux continens s’unissent ; 12
L’un de l’autre étonnés, l’un de l’autre jouissent ; 12
Tu forces la nature à trahir ses secrets ; 12
De la terre au soleil tu marques la distance, 12
35 Et des feux qu’il te lance 6
Le prisme audacieux a divisé les traits. 12
Tes yeux ont mesuré ce ciel qui te couronne ; 12
Ta main pèse les airs qu’un long tube emprisonne ; 12
La foudre menaçante obéit à tes lois ; 12
40 Un charme impérieux, une force inconnue 12
Arrache de la nue 6
Le tonnerre indigné de descendre à ta voix. 12
O prodige plus grand ! ô vertu que j’adore ! 12
C’est par toi que nos cœurs s’ennoblissent encore : 12
45 Quoi ! ma voix chante l’homme, et j’ai pu t’oublier ! 12
Je célèbre avant toi… Pardonne, beauté pure ; 12
Pardonne cette injure : 6
Inspire-moi des sons dignes de l’expier. 12
Mes vœux sont entendus : ta main m’ouvre ton temple ; 12
50 Je tombe à vos genoux, héros que je contemple, 12
Pères, époux, amis, citoyens vertueux : 12
Votre exemple, vos noms, ornement de l’histoire, 12
Consacrés par la gloire, 6
Élèvent jusqu’à vous les mortels généreux. 12
55 Là, tranquille au milieu d’une foule abattue, 12
Tu me fais, ô Socrate, envier ta ciguë ; 12
Là, c’est ce fier Romain, plus grand que son vainqueur ; 12
C’est Caton sans courroux déchirant sa blessure : 12
Son âme libre et pure 6
60 S’enfuit loin des tyrans au sein de son auteur. 12
Quelle femme descend sous cette voûte obscure ? 12
Son père dans les fers mourait sans nourriture. 12
Elle approche… ô tendresse ! amour ingénieux ! 12
De son lait… se peut-il ? oui, de son propre père 12
65 Elle devient la mère : 6
La nature trompée applaudit à tous deux. 12
Une autre femme, hélas ! près d’un lit de tristesse, 12
Pleure un fils expirant, soutien de sa vieillesse ; 12
Il lègue à son ami le droit de la nourrir : 12
70 L’ami tombe à ses pieds, et, fier de son partage, 12
Bénit son héritage, 6
Et rend grâce à la main qui vient de l’enrichir. 12
Et si je célébrais d’une voix éloquente 12
La vertu couronnée et la vertu mourante, 12
75 Et du monde attendri les bienfaiteurs fameux, 12
Et Titus, qu’à genoux tout un peuple environne, 12
Pleurant au pied du trône 6
Le jour qu’il a perdu sans faire des heureux ? 12
Oui, j’ose le penser, ces mortels magnanimes 12
80 Sont honorés, grand Dieu ! de tes regards sublimes. 12
Tu ne négliges pas leurs sublimes destins ; 12
Tu daignes t’applaudir d’avoir formé leur être, 12
Et ta bonté peut-être 6
Pardonne en leur faveur au reste des humains. 12
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