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Sébastien-Roch-Nicolas de CHAMFORT
ŒUVRES COMPLÈTES
(POÉSIES)
1851
CONTES
LE COQ ET LE CHAPON
De Sparte antique on regrette le temps ; 10
On a raison : alors jeune fillette 10
De son époux connaissait les talens 10
Avant qu’hymen en eût fait la conquête. 10
5 Besoin n’était d’un regard pénétrant, 10
Pour qu’au travers d’une étoffe discrète, 10
L’amour secret allât furtivement 10
D’appas cachés contrôler la retraite. 10
Pour voir bondir à la fleur de seize ans 10
10 Désirs naissans de jeune pastourette, 10
Besoin n’était aux sincères amans 10
Du cercle étroit d’une froide lorgnette ; 10
Ses charmes nus brillaient dans leur printemps ; 10
Nature alors parlait sans interprète ; 10
15 Dans l’ombre alors point d’amoureux déduit ; 10
Cette pudeur dont on fait tant de bruit, 10
Triste avorton d’une ardeur contrefaite, 10
Du charme obscur d’une prudente nuit 10
Ne voilait point la nature imparfaite. 10
20 O l’heureux temps que ce siècle tout nu !… 10
Du premier homme on suivait l’innocence ; 10
L’amour plus jeune était plus ingénu ; 10
De la beauté l’impudique décence 10
A son flambeau sans danger se montrait ; 10
25 D’un sexe à l’autre errait son inconstance ; 10
Fidèle ardeur jamais ne l’arrêtait, 10
De sa pudeur avec grâce voilée, 10
La jeune vierge innocemment marchait. 10
De tant d’appas l’âme à peine troublée, 10
30 Son jeune amant près d’elle s’approchait : 10
Ainsi qu’on vit, avant que d’une pomme 10
Elle eût cueilli le péché défendu, 10
D’Ève en sa fleur le corps pudique et nu, 10
Chaste s’asseoir auprès du premier homme. 10
35 Amour alors, sans flèche, ni flambeau, 10
Au front n’avait cet aveugle bandeau, 10
Nuage épais dont la sombre fumée 10
Ne laisse voir qu’au travers des brouillards, 10
Dont la vapeur obscurcit les regards, 10
40 Les traits confus de la vierge charmée. 10
O l’heureux temps que ce siècle tout nu !… 10
Point de surprise !… alors point de reproche ! 10
Brûlé des feux d’un amour ingénu, 10
Jamais l’hymen ne prenait chat en poche. 10
45 Ce temps n’est plus. Qu’en est-il advenu ? 10
Pour époux, Lise a pris le jeune Alcandre. 10
Qui l’eût pensé que ce bel ingénu, 10
Jeune, attentif, plein d’une ardeur si tendre, 10
A son amante eût si mal répondu ? 10
50 Aux feux brûlans d’un amour éperdu, 10
Humainement Lise avait cru se rendre. 10
O sort affreux !… cet amoureux si prompt, 10
Que pour un coq Lise avait osé prendre… 10
Qu’a-t-il fait ? Rien… Ce coq est un chapon. 10
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