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Sébastien-Roch-Nicolas de CHAMFORT
ŒUVRES COMPLÈTES
(POÉSIES)
1851
CONTES
L’ABBESSE CONDAMNÉE AU CHAPELAIN
Pour un procès pendant au Parlement, 10
Vint à Paris dernièrement 8
Une abbesse jeune et jolie, 8
Qui, d’une amoureuse folie, 8
5 N’avait jamais connu l’égarement. 10
Entrée au couvent dès l’enfance, 8
Elle avait pu facilement 8
Garder sa première innocence. 8
Elle prit un appartement 8
10 Chez certaine cousine, ou marquise ou comtesse 12
Dont le fils, chevalier charmant, 8
Joignait à maint autre agrément 8
L’esprit et la délicatesse. 8
Sans intérêt il ne put voir 8
15 L’embonpoint reposé de notre aimable abbesse, 12
Dont la fraîcheur et la finesse 8
Auraient fait plus d’effet à la cour qu’au parloir : 12
Nez retroussé, peau blanche, fine, œil noir 10
Rempli de feux et de tendresse, 8
20 De l’amour dans son cœur firent passer l’ivresse ; 12
Mais ce dieu doublement signala son pouvoir. 12
Le cavalier est beau, bien fait et leste, 10
L’air mâle, le ton noble et le maintien modeste ; 12
Jamais auprès de son moutier 8
25 N’avait paru si charmante figure, 10
Sans quoi l’on pourrait parier 8
Qu’elle n’eût pas adopté la clôture. 10
Par un regard où se peint le désir, 10
Notre amant entame l’affaire ; 8
30 Après vient un tendre soupir, 8
Que l’on écoute sans colère : 8
Car peut-on se fâcher de ce qui fait plaisir, 12
Surtout contre un cousin, quand le cousin sait plaire ? 12
Enhardi par l’impunité, 8
35 L’amant ose dire qu’il aime. 8
« Je le crois bien, dit-elle, et moi de même. 10
Ne doit-on pas aimer sa parenté ? » 10
Ils étaient seuls, et la témérité 10
Toujours se trouve où l’ardeur est extrême. 10
40 L’amant avec vivacité 8
Porte la main vers le bonheur suprême… 10
D’une pareille liberté 8
La sensible abbesse surprise, 8
Un peu tard à la vérité, 8
45 Veut s’opposer à l’entreprise : 8
« Ah ! monsieur, quelle indignité ! 8
Vous abusez de ma bonté… » 8
Discours perdus, il ne lâche point prise ; 10
Il savait trop qu’en ces soins là, 8
50 L’excès peut faire seul excuser l’insolence : 12
Au comble il porta la licence, 8
Et le succès fit voir qu’il ne se trompait pas. 12
L’épouse du seigneur, enivrée, éperdue, 12
Le serre sans oser sur lui jeter la vue ; 12
55 Il vit, dans son tendre embarras, 8
La honte et le plaisir d’avoir été vaincue. 12
Quelques momens après, encore tout émue 12
« O ciel ! qu’ai-je éprouvé ! lui dit-elle tout bas, 12
A jamais vous m’avez perdue ; 8
60 Sans cette volupté qui m’était inconnue, 12
Je ne pourrai plus vivre, cher cousin ; 10
Que faire à mon couvent, quand j’y serai rendue, 12
Des longs sermons d’un triste chapelain ! 10
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