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Sébastien-Roch-Nicolas de CHAMFORT
ŒUVRES COMPLÈTES
(POÉSIES)
1851
CONTES
L’AVARE ÉBORGNÉ
Un Harpagon, d’un œil hypothéqué, 10
Gardait la chambre en mauvaise posture. 10
« Grave est le cas, le globe est attaqué, 10
Lui disait-on ; craignez quelqu’aventure ; 10
5 Voyez Granjean. — Non, parbleu, je vous jure, 10
Il est habile, il doit être bien cher ; 10
Pour me guérir, il suffit d’un frater. » 10
Le frater vient, entreprend cette cure, 10
Le bistourise, et de son instrument 10
10 Lui crève l’œil, mais très-parfaitement. 10
Harpagon crie ; Esculape s’évade 10
A petit bruit le long de l’escalier, 10
Très-inquiet de sa sotte algarade. 10
Vite on accourt aux clameurs du malade. 10
15 « Un œil ! O ciel ! ah ! quel aventurier ! 10
Dans les deux cas, ignorance ou malice, 10
Pourvoyez-vous en réparation ; 10
Un bon procès doit vous faire justice, 10
Et contre lui vous avez action. » 10
20 Le borgne alors, d’un ton tout débonnaire, 10
« Laissez, dit-il, laissez ce pauvre haire ; 10
Je sais très-bien qu’il peut être plaidé ; 10
Mais il en coûte à poursuivre une affaire : 10
Et puis d’ailleurs il n’a rien demandé. » 10
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