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CHE_1/CHE80
André de CHÉNIER
ŒUVRES POÉTIQUES
tome I
1790
POÈMES
Amérique
Géographie
QUE ton œil, voyageur, de peuples en déserts 12
Parcoure l'ancien monde et traverse les mers : 12
Rome antique partout, Rome, Rome immortelle, 12
Vit et respire, et tout semble vivre par elle. 12
5 De l'Atlas au Liban, de l'Euphrate au Bétis, 12
Du Tage au Rhin glacé, de l'Elbe au Tanaïs, 12
Et des flots de l'Euxin à ceux de l'Hyrcanie, 12
Partout elle a gravé le sceau de son génie. 12
Partout de longs chemins, des temples, des cités, 12
10 Des ponts, des aqueducs en arcades voûtés, 12
Des théâtres, des forts assis sur des collines, 12
Des bains, de grands palais et de grandes ruines 12
Gardent empreinte encore une puissante main, 12
Et cette Rome auguste et le grand nom romain. 12
15 Et d'un peuple ignorant les débiles courages, 12
Étonnés et confus de si vastes ouvrages, 12
Aiment mieux assurer que de ces monuments 12
Le bras seul des démons jeta les fondements. 12
Épisodes
…Pour moi, je les crois fils de ces dieux malfaisants 12
20 Pour qui nos maux, nos pleurs, sont le plus doux encens. 12
Loin d'être dieux eux-même, ils sont tels que nous sommes, 12
Vieux, malades, mortels. Mais, s'ils étaient des hommes, 12
Quel germe dans leur cœur peut avoir enfanté 12
Un tel excès de rage et de férocité ? 12
25 Chez eux peut-être aussi qu'une avare nature 12
N'a point voulu nourrir cette race parjure. 12
Le cacao sans doute et ses glands onctueux 12
Dédaignent d'habiter leurs bois infructueux. 12
Leur soleil ne sait point sur leurs arbres profanes 12
30 Mûrir le doux coco, les mielleuses bananes. 12
Leurs champs du beau maïs ignorent la moisson, 12
La mangue leur refuse une douce boisson. 12
D'herbages vénéneux leurs terres sont couvertes. 12
Noires d'affreux poisons, leurs rivières désertes 12
35 N'offrent à leurs filets nulle proie, et leurs traits 12
Ne trouvent point d'oiseaux dans leurs sombres forêts, 12
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Magellan, fils du Tage, et Dracke et Bougainville, 12
Et l'Anglais dont Neptune aux plus lointains climats 12
Reconnaissait la voile et respectait les pas. 12
40 Le Cancer sous les feux de son brûlant tropique 12
L'attire entre l'Asie et la vaste Amérique, 12
En des ports où jadis il entra le premier. 12
Là l'insulaire ardent, jadis hospitalier, 12
L'environne : il périt. Sa grande âme indignée, 12
45 Sur les flots, son domaine, à jamais promenée, 12
D'ouragans ténébreux bat le sinistre bord 12
Où son nom, ses vertus, n'ont point fléchi la mort. 12
J'accuserai les vents et cette mer jalouse 12
Qui retient, qui peut-être a ravi La Pérouse. 12
50 Il partit. L'Amitié, les sciences, l'amour 12
Et la gloire française imploraient son retour. 12
Six ans sont écoulés sans que la renommée 12
De son trépas au moins soit encore informée. 12
Malheureux ! un rocher inconnu, sous les eaux 12
55 A-t-il, brisant les flancs de tes hardis vaisseaux, 12
Dispersé ta dépouille au sein du gouffre immense ? 12
Ou, le nombre et la fraude opprimant ta vaillance, 12
Nu, captif, désarmé, du sauvage inhumain 12
As-tu vu s'apprêter l'exécrable festin ? 12
60 Ou plutôt dans une île, assis sur le rivage, 12
Attends-tu ton ami voguant de plage en plage ; 12
Ton ami qui partout, jusqu'aux bornes des mers 12
Où d'éternelles nuits et d'éternels hivers 12
Font plier notre globe entre deux monts de glace, 12
65 Aux flots de l'Océan court demander ta trace ? 12
Malheureux ! tes amis, souvent dans leurs banquets, 12
Disent en soupirant : « Reviendra-t-il jamais ? 12
Ta femme à son espoir, à ses vœux enchaînée, 12
Doutant de son veuvage ou de son hyménée, 12
70 N'entend, ne voit que toi dans ses chastes douleurs, 12
Se reproche un sourire, et tout entière aux pleurs, 12
Cherche en son lit désert, peuplé de ton image 12
Un pénible sommeil que trouble ton naufrage. 12
※※※
Le poète divin, tout esprit, tout pensée, 12
75 Ne sent point dans un corps son âme embarrassée ; 12
Il va percer le ciel aux murailles d'azur ; 12
De la terre, des mers, le labyrinthe obscur. 12
Ses vers ont revêtu, prompts et légers protées, 12
Les formes tour à tour à ses yeux présentées. 12
80 Les torrents, dans ses vers, du droit sommet des monts 12
Tonnent précipités en des gouffres profonds. 12
Là, des flancs sulfureux d'une ardente montagne, 12
Ses vers cherchent les cieux et brûlent les campagnes, 12
Et là, dans la mêlée aux reflux meurtriers, 12
85 Leur clameur sanguinaire échauffe les guerriers. 12
Puis, d'une aile glacée assemblant les nuages 12
Ils volent, troublent l'onde et soufflent les naufrages, 12
Et répètent au loin et les longs sifflements, 12
Et la tempête sombre aux noirs mugissements, 12
90 Et le feu des éclairs et les cris du tonnerre. 12
Puis, d'un œil doux et pur souriant à la terre, 12
Ils la couvrent de fleurs ; ils rassérènent l'air. 12
Le calme suit leurs pas et s'étend sur la mer. 12
Exposé de l'Histoire du monde
et des empires
Henri V.
Grand roi, vaillant guerrier, d'un père usurpateur, 12
95 Dès son adolescence, illustre imitateur. 12
N'étant que prince encore, aux périls, au carnage 12
De nocturnes bandits formèrent son courage. 12
Voilà quels chevaliers, l'effroi des grands chemins, 12
Confièrent l'épée à ses royales mains. 12
100 A leur tête longtemps il fit payer sa gloire 12
Au passant chargé d'or qui durant l'ombre noire 12
De Windsor à la hâte osait tenter les bois. 12
Roi, maintenant, il vient par les mêmes exploits 12
Signaler contre nous son noble apprentissage 12
105 Du métier de brigand si cher à son jeune âge. 12
Les Anglais à ses goûts toujours accoutumés, 12
Gens de sang, de débauche et de proie affamés, 12
Aimaient à voir chez nous le maître de leur trône, 12
Le pistolet en main, demander la couronne ; 12
110 Et chérissaient un prince incapable d'effroi, 12
D'un antre de voleurs sorti pour être roi… 12
Vincennes ! bois auguste où le grand saint Louis 12
Nous rendait la justice au pied d'un chêne assis, 12
Pensais-tu que jamais de ce roi plein de gloire, 12
115 La moitié de la France outrageant la mémoire, 12
Sous tes antiques murs qui furent son palais, 12
Vînt couronner un front qui n'était point français ? 12
Saint-Denis ! lieu sacré ! tes voûtes sépulcrales 12
Tressaillirent. L'on vit fuir les ombres royales, 12
120 Tremblantes qu'à leur cendre un étranger nouveau 12
Mêlant sa cendre impie usurpât leur tombeau. 12
Guillaume, heureux vassal des rois de cette terre, 12
Fier et brave Normand maître de l'Angleterre, 12
Tu ne prévoyais point qu'un jour un de ses rois 12
125 Dicterait aux Français de sacrilèges lois. 12
O crime ! ô noir complot ! la fille de Bavière 12
Sur le trône français, aux Français étrangère, 12
Du sein de ses plaisirs qu'elle nous fit payer, 12
Nomme l'usurpateur son fils, son héritier ! 12
130 D'un malheureux époux la fatale démence 12
Mit dans ses viles mains le timon de la France. 12
Elle vend ses sujets, elle proscrit son fils, 12
Elle donne sa fille aux brigands ennemis ; 12
Mère, épouse, régente, et reine parricide, 12
135 Tout l'État est la dot de cet hymen perfide. 12
C'est alors, en effet, que vaincus, enchaînés, 12
Captifs de l'insulaire, à sa suite traînés, 12
Les anges de la France, arrachés à nos villes, 12
Passèrent l'océan, et, de leurs pieds débiles 12
140 Touchant le sol anglais, dans leurs pâles douleurs 12
Tournèrent vers nos bords leurs yeux noyés de pleurs. 12
La Tamise asservit à ses lois insolentes 12
De nos fleuves français les nymphes gémissantes ; 12
Londre, apportant des fers, vint de notre Paris 12
145 Fouler d'un pied sanglant les augustes débris ; 12
Et le lis transplanté sous un ciel tyrannique 12
Eut regret d'embellir l'écusson britannique. 12
Ensuite la délivrance des français, etc…
Et je méprise un roi quand un roi s'avilit. 12
Chénier aurait voulu créer un Œdipe américain, et imiter la scène de Cassandre dans Agamemnon, en faisant prédire à une prophétesse l'assassinat de François Pizarre.
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