ÉLÉGIES ANTIQUES |
VI |
L'Esclave |
Dire en quatre vers que, sur le rivage de telle île (la plus près de Délos),
un jeune esclave délien venait dire ceci chaque jour :
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Ah ! vierge infortunée ! était-ce la douleur |
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Qui devait de ton front cueillir la jeune fleur ? |
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Mais, oh oui ! que ton cœur soit nourri d'amertume, |
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Que des pâles regrets la langueur te consume ! |
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Plutôt que si, crédule à de nouveaux amants, |
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Ils égaraient ta bouche en de nouveaux serments, |
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Et de vœux et d'amour enivrant ton oreille, |
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Ranimaient de ton front l'allégresse vermeille. |
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Ah dieux ! quand je péris ! quand l'absence et l'amour, |
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Me versent du poison sur chaque instant du jour, |
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Quand les rides d'ennui flétrissent ma jeunesse, |
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Si quelque audacieux et t'assiège et te presse, |
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Si sa main se promet de posséder ta main, |
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Si, sans voir dans tes yeux ni courroux ni dédain, |
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Il dit : « C'est donc aux morts que tu vis enchaînée ? |
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Vierge, un deuil solitaire est donc ton hyménée ? |
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Est-ce à toi de vieillir en des pleurs superflus ? |
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Il ne reviendra pas ; sans doute il ne vit plus ! » |
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Il vit, il vit encore. Il revient. Tremble ! Arrête. |
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Crains que mon désespoir n'invoque sur ta tête |
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Les dieux persécuteurs de qui manque à sa foi ! |
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Cette main, ces serments, ces baisers sont à moi. |
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Gardez-la-moi, Gémeaux, fils et rois de notre île ! |
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Notre amour, sous vos yeux, croissait dans votre asile, |
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Et Junon Illythie, et vous tous, dieux témoins, |
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Qui du lit nuptial prenez d'augustes soins, |
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N'oubliez point l'absent que les humains oublient ! |
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Je la confie à vous. Que les nœuds qui nous lient, |
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Les ordres maternels, ma voix, nos premiers ans, |
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Vos foudres, le remords toujours, toujours présents, |
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M'environnant son cœur d'une garde éternelle, |
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Si de quelque entretien l'insidieux détour |
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Voulait lui déguiser quelque amorce d'amour, |
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Tonnez, et qu'elle fuie. Au sein des nuits peureuses, |
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Faites entrer la foule aux ailes ténébreuses |
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Des songes messagers de terreur et d'effroi, |
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Pour me remplir ce lit qui n'est permis qu'à moi. |
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Agitez son sommeil de lugubres images, |
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Montrez-lui, montrez-lui, sur de lointains rivages, |
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Seul, son nom à la bouche, et pâle et furieux, |
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Ce malheureux qui meurt en attestant les dieux ! |
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Nourrice d'Apollon, etc .................................................... |
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Mer vaste ................................................................................ |
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............................ Et tes flots qui brisent les vaisseaux |
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Sont, auprès de mon cœur, et calmes et tranquilles. |
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Triste vieillard, depuis que pour tes cheveux blancs |
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Il n'est plus de soutien de tes jours chancelants, |
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Que ton fils orphelin n'est plus à son vieux père, |
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Renfermé sous ton toit et fuyant la lumière, |
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Un sombre ennui t'opprime et dévore ton sein. |
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Sur ton siège de hêtre, ouvrage de ma main, |
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Sourd à tes serviteurs, à tes amis eux-mêmes, |
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Le front baissé, l'œil sec, et le visage blême, |
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Tout le jour en silence, à ton foyer assis, |
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Tu restes pour attendre ou la mort ou ton fils. |
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Et toi, toi, que fais-tu, seule et désespérée, |
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De ton faon dans les fers lionne séparée ? |
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J'entends ton abandon lugubre et gémissant, |
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Sous tes mains en fureur ton sein retentissant, |
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Ton deuil pâle, éploré, promené par la ville, |
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Tes cris, tes longs sanglots remplissant toute l'île. |
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Les citoyens de loin reconnaissent tes pleurs. |
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« La voici, disent-ils, la femme de douleurs ! » |
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L'étranger, te voyant mourante, échevelée, |
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Demande : « Qu'as-tu donc, ô femme désolée ! » |
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Ce qu'elle a ? tous les dieux contre elle sont unis : |
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La femme désolée, elle a perdu son fils. |
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Son fils esclave meurt loin de sa main chérie. |
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Après son discours il se lève… mais la jeune… cachée,
l'avait écouté, et, tout en larmes, courut à son père… O mon
père, tu m'as promis de m'unir bientôt à… Celui-ci pleure son
amante,… viens le voir au rivage, il invoque la mort, il pleure…
Rends-lui sa liberté.
Une larme vient humecter la paupière du vieillard… |
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« Eh bien, dit-il, enfant, puisqu'ainsi tu le veux, |
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Marchons. Ce jeune esclave est donc bien malheureux ? |
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Quel mortel est heureux ? Nous souffrons tous. Il pleure ? |
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J'ai pleuré. Jupiter dans sa haute demeure, |
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Dit encor le poète, a deux grands vases pleins |
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Des destins de la terre et du sort des humains. |
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L'un contient les plaisirs, les succès, l'allégresse, |
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L'autre les durs revers, les larmes, la tristesse. |
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Jupiter, à l'instant que nous venons au jour, |
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Dans ces vases, pour nous, va puisant tour à tour, |
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Et nous mêle une vie, hélas ! souvent amère. |
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Plus d'un mortel n'ont part qu'au vase de misère ; |
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Mais le dieu ne veut pas que nul mortel jamais |
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S'abreuve sans mélange au vase des bienfaits. |
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Et ceux-là sont heureux et sont dignes d'envie |
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Qui pleurent seulement la moitié de leur vie. » |
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Il s'approche, et mettant les deux mains sur sa tête : |
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« Oui, sois libre, Hermias !… Phœbus conservateur, |
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Jupiter protecteur, sauveur, libérateur, |
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Et vous, dieux infernaux, et vous, sœurs vengeresses, |
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Et qui que vous soyez, hommes, dieux et déesses, |
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Je vous prends à témoin qu'Hermias de Délos |
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Est libre. — Va, mon fils, et repasse les flots. |
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Revois de ta Délos la rive fortunée ; |
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Dis à ta belle amante, aux autels d'Hyménée, |
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Qu'Ariston de Thénos est un vieillard pieux, |
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Qui porte un cœur humain et respecte les dieux. |
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