Métrique en Ligne
CHA_1/CHA7
François-René de CHATEAUBRIAND
TABLEAUX DE LA NATURE
1784-1790
VII
Le Printemps, l'Été et l'Hiver
Vallée au nord, onduleuse prairie, 10
Déserts charmants, mon cœur, formé pour vous, 10
Toujours vous cherche en sa mélancolie. 10
A ton aspect, solitude chérie, 10
5 Je ne sais quoi de profond et de doux 10
Vient s'emparer de mon âme attendrie. 10
Si l'on savait le calme qu'un ruisseau 10
En tous mes sens porte avec son murmure, 10
Ce calme heureux que j'ai, sur la verdure, 10
10 Goûté cent fois seul au pied d'un coteau, 10
Les froids amants du froid séjour des villes 10
Rechercheraient ces voluptés faciles. 10
Si le printemps les champs vient émailler, 10
Dans un coin frais de ce vallon paisible, 10
15 Je lis assis sous le rameux noyer, 10
Au rude tronc, au feuillage flexible. 10
Du rossignol le suave soupir 10
Enchaîne alors mon oreille captive, 10
Et dans un songe au-dessus du plaisir 10
20 Laisse flotter mon âme fugitive. 10
Au fond d'un bois quand l'été va durant, 10
Est-il une onde aimable et sinueuse 10
Qui, dans son cours, lente et voluptueuse, 10
A chaque fleur s'arrête en soupirant ? 10
25 Cent fois au bord de cette onde infidèle 10
J'irai dormir sous le coudre odorant, 10
Et disputer de paresse avec elle. 10
Sous le saule nourri de ta fraîcheur amie, 12
Fleuve témoin de mes soupirs, 8
30 Dans ces prés émaillés, au doux bruit des zéphyrs, 12
Ton passage offre ici l'image de la vie. 12
En des vallons déserts, au sortir de ces fleurs, 12
Tu conduis tes ondes errantes : 8
Ainsi nos heures inconstantes 8
35 Passent des plaisirs aux douleurs. 8
Mais si voluptueux, du moins dans notre course, 12
Du printemps nous allons jouir, 8
Nos jours plus doucement s'éloignent de leur source, 12
Emportant avec eux un tendre souvenir : 12
40 Ainsi tu vas moins triste au rocher solitaire, 12
Vers ces bois où tu fais toujours, 8
Si de ces prés ton heureux cours 8
Entraîne quelque fleur légère. 8
De mon esprit ainsi l'enchantement 10
45 Naît et s'accroît pendant tout un feuillage. 10
L'aquilon vient, et l'on voit tristement 10
L'arbre isolé sur le coteau sauvage 10
Se balancer au milieu de l'orage. 10
De blancs oiseaux en troupes partagés 10
50 Quittent les bords de l'Océan antique : 10
Tous en silence à la file rangés 10
Fendent l'azur d'un ciel mélancolique. 10
J'erre aux forêts où pendent les frimas : 10
Interrompu par le bruit de la feuille 10
55 Que lentement je traîne sous mes pas, 10
Dans ses pensers mon esprit se recueille. 10
Qui le croirait ? plaisirs solacieux, 10
Je vous retrouve en ce grand deuil des cieux : 10
L'habit de veuve embellit la nature. 10
60 Il est un charme à des bois sans parure : 10
Ces prés riants entourés d'aunes verts, 10
Où l'onde molle énerve la pensée, 10
Où sur les fleurs l'âme rêve bercée 10
Aux doux accords du feuillage et des airs, 10
65 Ces prés riants que l'aquilon moissonne, 10
Plaisent aux cœurs. Vers la terre courbés 10
Nous imitons, ou flétris ou tombés, 10
L'herbe en hiver et la feuille en automne. 10
logo du CRISCO logo de l'université