Métrique en Ligne
CAO_1/CAO22
Jean Baptiste CAOUETTE
LES VOIX INTIMES
1892
POÉSIES DIVERSES
SACHONS LUTTER !
A. M. C. A. GAUVREAU, membre de l'Académie des Muses Santones
RÉPONSE
Toute vie est un flot de la mer de douleur.
Leur amertume un jour sera ton ambroisie,
Car l'urne de la gloire et de la poésie,
Ne se remplit que de nos pleurs !
LAMARTINE.
L'autre soir, accoudé sur le bord de ma table, 12
La cigarette aux dents et la plume à la main, 12
J'essayais de ravir à ma muse indomptable 12
Des vers que je voulais risquer le lendemain. 12
5 Mais, hélas ! la cruelle avec indifférence 12
Accueillait les soupirs s'exhalant de mon cœur, 12
Et, malgré mes appels et ma persévérance, 12
Ne daignait m'accorder qu'un « silence moqueur. » 12
Alors, en grommelant, je rejetai ma plume 12
10 Que j'avais pris la peine, entre vingt, de choisir ! 12
Ma foi, j'aurais troqué mon luth contre l'enclume 12
Que l'artisan du coin fait vibrer à loisir… 12
Je vouais à Pluton l'objet de ma tendresse ‒ 12
La muse qui m'avait tant de fois consolé ‒ 12
15 Quand l'on vint me remettre un chant, à mon adresse, 12
Que votre lyre avait, la veille, modulé. 12
« Sachons lutter ! » Tel est le titre du poème 12
Où votre âme meurtrie épanche ses douleurs, 12
Implorant la pitié pour le malheureux même 12
20 Dont le fol égoïsme causé vos malheurs ! 12
L'égoïsme a chassé l'ange de l'espérance 12
Qui berçait votre esprit du rêve le plus beau ; 12
Il ne vous reste plus que l'amère souffrance, 12
Aussi lourde à porter qu'un marbre de tombeau ! 12
25 Ah ! votre cœur croyait ‒ avec raison sans doute ‒ 12
Que l'homme parvenu doit être bienfaisant, 12
Quand le hasard, un soir, plaça sur votre route 12
Un sot que la fortune a rendu méprisant ! 12
Votre cœur ignorait qu'ici-bas, en grand nombre, 12
30 Il est des êtres vils au visage de saint 12
Qui se cachent parfois, comme un serpent dans l'ombre, 12
Pour nous lancer le dard qui perce notre sein… 12
Comme vous j'ai souffert de la malice humaine ; 12
De vieux amis j'ai vu l'affreuse trahison ; 12
35 D'illustres vaniteux j'ai mérité la haine, 12
M'étant permis de rire un peu de leur blason… 12
Et pour avoir, jadis, proclamé que ma race 12
Secouerait tôt ou tard l'insupportable affront 12
De vivre sous le joug, j'ai payé cette audace 12
40 De lèse-loyauté… mais je tiens haut le front ! 12
Barde, vous l'avez dit : « Il faut souffrir, pleurer. 12
La souffrance à tout front doit mettre son empreinte 12
Et toujours et sans cesse elle devra durer 12
Et pas un n'est exempt de sa fatale étreinte. » 12
45 Mais ne désespérons ni de Dieu ni des hommes : 12
Dieu récompense un jour ceux qui savent lutter, 12
Et nous, pauvres humains ‒ dieux tombés que nous sommes ‒ 12
Si nous causons des torts, sachons les racheter ! 12
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